Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/325

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— Y a-t-il quelqu’un de ces beaux messieurs, de ces doucereux damerets, qui ait jamais songé à vous faire des propositions ?

Grace se mit à rire, et rougit si vivement, — oh ! qu’elle était belle ainsi avec ce teint de rose vraiment céleste ! — que je restai convaincu qu’elle aussi avait refusé des partis. Cette certitude calma en partie mon dépit, et j’éprouvai une sorte de plaisir presque sauvage à penser qu’elle avait appris à ce beau monde qu’il ne suffisait pas de demander une fille de Clawbonny pour l’obtenir. L’embarras qu’elle éprouvait fut sa seule réponse.

— Allons, je ne vous presserai pas sur ce chapitre, puisque je vois que cela vous contrarie, et que je crois savoir maintenant à quoi m’en tenir. Mais, voyons, dites-moi un peu : quelle est la fortune et la position de ce M. Drewett ?

— Mais très-convenables l’une et l’autre, à ce que j’ai toujours entendu dire. Il passe même pour riche.

— Dieu merci ! celui-là du moins ne recherche pas Lucie par intérêt.

— Pas le moins du monde. Il est si naturel d’aimer Lucie pour elle-même, que même un coureur de dots pourrait bien être pris dans ses propres filets. Mais M. Drewett est au-dessus de pareilles manœuvres.

Ici, pour l’instruction de la génération actuelle, j’ajouterai que les coureurs de dots n’étaient pas aussi fréquents en 1802 qu’ils le sont en 1844, et que ce n’était pas encore un métier régulièrement organisé, ayant ses commis voyageurs de l’un et de l’autre sexe. Cependant la chose existait déjà ; la lice était ouverte, et quiconque était riche était le point de mire d’une nuée d’épouseurs.

— Vous ne m’avez pas dit, Grace, repris-je, si vous pensez que Lucie voie ou non avec plaisir les attentions de ce monsieur.

Ma sœur me regarda un moment attentivement, comme pour reconnaître jusqu’à quel point je pouvais être intéressé personnellement à la question. On se rappellera que jamais nous n’avions eu d’explications entre nous sur la nature de nos sentiments à l’égard de nos compagnons d’enfance, et qu’à ce sujet nous en étions réduits aux conjectures. Toujours j’étais resté avec Lucie dans les limites de la plus cordiale et de la plus honnête amitié ; et si je m’imaginais quelquefois qu’en mille occasions elle avait manifesté autrefois pour moi un vif attachement, c’était le langage du cœur que j’interprétais : la bouche n’avait jamais parlé.

— Et que voulez-vous que je vous dise, Miles ? me dit-elle enfin ; si Lucie m’avait confié son secret, je ne devrais point la trahir ; mais