Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/376

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tendre que M. Drewett se met sur les rangs pour obtenir la main de miss Hardinge ?

— Je ne m’en ouvrirais pas même avec vous, Miles, si Drewett ne le disait pas lui-même à qui veut l’entendre.

— Sans doute dans la vue d’écarter les autres prétendants, dis-je avec un sentiment d’amertume dont je ne fus pas maître.

M. Hardinge eut été le dernier homme du monde à soupçonner le mal. Il parut surpris, et même un peu fâché de ma remarque.

— Voilà qui n’est pas bien, mon garçon, dit-il d’un ton grave. Il faut toujours tâcher d’attribuer les meilleures intentions à nos semblables. — L’excellent homme, avec quelle fidélité il mettait ses leçons en pratique ! — La sagesse nous en fait un devoir, et aussi la prudence ; d’autant plus que notre faiblesse a besoin qu’on en agisse de même avec nous. N’est-il donc pas tout naturel que Drewett cherche à s’assurer la main de Lucie ? et tant qu’il n’emploie pas de moyens moins avouables que d’exprimer hautement son attachement, je ne vois pas trop comment nous pourrions nous en plaindre.

J’avais eu tort ; je méritais cette leçon, et je me hâtai d’ajouter, pour atténuer ma faute :

— Ma remarque était déplacée, Monsieur, je le sens, d’autant plus que les attentions de M. Drewett sont antérieures à la mort de mistress Bradfort, et que, par conséquent, on ne peut leur supposer aucun motif intéressé.

— Rien n’est plus vrai ; et votre observation est pleine de justesse. À vous qui avez connu Lucie depuis l’enfance, et qui avez pour elle l’amitié d’un frère, il peut paraître étrange que Lucie inspire par elle-même une passion vive et durable ; mais je puis vous assurer qu’elle est vraiment charmante, comme nous savons tous que c’est une excellente fille.

— À qui le dites-vous, Monsieur, et qui peut en être plus convaincu que moi ? Mais parlons de Grace, — car j’étouffais, — ce n’est pas d’attachements terrestres qu’elle m’a toujours paru susceptible, elle tient déjà trop au ciel !

— C’est ce que je vous disais, et il faut tâcher de l’humaniser un peu. Il n’y a rien de plus dangereux pour la santé d’une jeune fille qu’une pareille exaltation religieuse ; ce n’est plus de la charité, ce n’est plus de la foi, ni de l’humilité ; c’est un mal véritable ; c’est notre faible nature qui prend une fausse direction ; et notre devoir est de la remettre dans la bonne voie.

Comment aurais-je pu éclairer le bon vieillard sur la véritable cause de la maladie de ma sœur ? Que Grace fût la victime d’une