Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/81

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pendant la nuit, et le lendemain matin nous eûmes le vent arrière. Grâce à cette puissante impulsion, nous filions parfois de six à sept nœuds par heure. Le vent favorable dura trente heures, pendant lesquelles nous avions dû faire plus de cent cinquante milles.

C’était à qui verrait le premier l’horizon au lever du jour, et tous les jeux étaient tournés vers l’orient. Ce fut inutilement : pas le moindre coin de terre n’était visible. Marbre parut cruellement déçu dans son attente, mais il s’efforça de nous rendre du courage en nous disant que nous ne tarderions pas à voir l’île. Nous portions alors à l’est, avec une très-légère brise du nord ouest. Je me trouvais debout sur des bancs de rameurs, lorsque, regardant du côté du sud, j’aperçus quelque chose qui semblait comme un point de terre dans cette direction. Je ne le vis qu’un instant ; mais cet objet, quel qu’il fût, je l’avais vu distinctement. M. Marbre monta sur le banc, et eut beau regarder, il dit qu’il n’y avait pas de terre de ce côté, qu’il ne pouvait pas y en avoir, et il reprit sa place pour gouverner à l’est, en inclinant plutôt vers le nord. Mais je ne pouvais être tranquille, et je restai sur mon banc jusqu’au moment où le canot s’élevant sur une lame plus haute que les autres, le même point brunâtre m’apparut sur le bord de l’horizon. Mes protestations devinrent alors si énergiques que Marbre consentit à gouverner pendant une heure dans la direction que j’indiquais.

— Pendant une heure, entendez-vous bien ? dit-il en regardant à sa montre ; c’est pour vous fermer la bouche, et voilà tout. Vous ne viendrez plus, après cela, me fendre la tête.

Pour mettre cette heure à profit, je pris en main un aviron, ainsi que mes compagnons, et nous nous mîmes à nager de tout notre cœur. J’attachais tant d’importance à chaque brasse que nous faisions, que nous ne nous levâmes de nos bancs que quand M. Marbre nous dit de nous arrêter, que l’heure était écoulée. Pour lui, il ne s’était pas même levé, mais il continuait à regarder derrière lui à l’est, espérant toujours voir la terre quelque part de ce côté.

Mon cœur battait violemment, quand je remontai sur le banc ; mais mon point noir était là, sous mes yeux, et il ne disparaissait plus. — Terre ! terre ! m’écriai-je de toutes mes forces. M. Marbre s’élança sur un banc, et pour le coup il se rendit. C’était bien la terre, il en convenait, et ce devait être l’Île Bourbon, au nord de laquelle nous étions passés, et dont nous allions nous éloigner de plus en plus. Nous reprîmes les avirons avec une nouvelle ardeur, et nous fîmes bientôt voler le canot. Nous fîmes force de rames sans discontinuer jusqu’à cinq heures du soir, et nous n’étions plus alors qu’à