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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/101

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salle à manger. M. Hardinge s’était chargé de faire les honneurs de la maison.

Quant à moi, je trouvai ma petite table préparée, comme j’en avais donné l’ordre. Seulement on avait mis deux tasses. J’en demandai la raison au vieux nègre qui me servait.

— Miss Lucie dit comme ça qu’elle veut déjeuner avec maître ce matin.

En donnant cette explication, le pauvre nègre avait pris un air solennel et grave, approprié à la circonstance. Je lui dis de prévenir miss Lucie que je l’attendais.

— Ah ! maître ! s’écria le vieil esclave en s’en allant, elle seule est jeune maîtresse à présent !

Lucie entra presque au même instant. Elle était en grand deuil, ce qui pouvait contribuer à faire ressortir sa pâleur ; il était évident qu’elle n’avait fait que pleurer depuis que nous ne nous étions vus. Il y avait dans tous ses traits une expression de douceur ineffable. Elle me tendit la main avec un sourire mélancolique ; je la lui serrai avec ardeur, et je l’embrassai tendrement. Ces effusions de tendresse furent naturelles, involontaires, telles qu’elles auraient en lieu entre un frère et une sœur, et nous n’y attachâmes ni l’un ni l’autre d’autre pensée, j’en suis certain, que celle de la confiance et de l’intimité qui nous avaient toujours unis dans l’enfance.

— C’est bien bon à vous, chère Lucie, lui dis-je quand nous eûmes pris place autour de la petite table, de venir ainsi auprès de moi. Mon cousin Jacques Wallingford, quoique bon homme au fond, ne nous est pas encore assez connu pour que sa compagnie me fût agréable dans un pareil moment.

— Je l’ai vu, répondit Lucie, avec un léger tremblement de voix qui prouvait à quel point elle se faisait violence pour ne pas fondre en larmes ; et il me plaît assez. Je crois que c’était le favori de maman Wallingford — Lucie avait pris l’habitude d’appeler ainsi ma mère ; — et ce doit être une grande recommandation auprès de nous, Miles.

— Je suis disposé à l’aimer, et je tâcherai d’avoir avec lui plus de relations que je n’en ai eu jusqu’à présent. C’est lorsque nous commençons à nous trouver seuls dans le monde, Lucie, que nous sentons le besoin de réunir autour de nous tous les appuis qui peuvent nous rester.