Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/137

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et elle n’est pas sans se rencontrer encore quelquefois dans nos journaux ; tant il est plus difficile de changer les formes du langage que de faire une révolution ! Malgré cet anachronisme du pilote, je résolus de ne pas négliger son avis. Il courait depuis un mois à New-York certain bruit que les deux grandes nations belligérantes pourraient bien se porter de nouveau aux mêmes extrémités qu’autrefois ; l’Angleterre et la France ayant alors le monopole des mers au point de se croire affranchies en quelque sorte de toute obligation de respecter les vieux principes relatifs aux droits des neutres. Quant aux États-Unis, on n’y parlait qu’économie ; et c’est un mal qui peut produire des conséquences aussi déplorables que le vice opposé, la prodigalité. L’argent payé pour intérêts des sommes dépensées pendant la guerre de 1812 aurait suffi pour entretenir une marine capable de faire respecter nos droits, et par conséquent pour sauver le capital, sans parler des pertes immenses qu’entraîna la suspension du commerce ; mais les démagogues hurlaient à qui mieux mieux, et il est difficile de faire entendre raison aux masses, quand il s’agit de faire un sacrifice actuel pour se procurer des avantages qui ne sont pas immédiats. Il est vrai que, suivant le principe mis en avant par un profond politique de France, la tendance des démocraties étant de se jeter dans les extrêmes, si vous donnez à un peuple le pouvoir, il se taxera jusqu’à ce qu’il ait versé son dernier écu ; mais, quelque vraie que cette théorie puisse être au fond, elle n’est nullement applicable aux bons citoyens de la grande république modèle. C’était déjà un assez grand fléau que cet esprit de sordide économie ; mais ce n’était pas encore le plus terrible de ceux qui nuisaient aux intérêts nationaux. L’esprit de parti s’était mis activement à l’œuvre dans le pays ; et il était presque aussi rare de rencontrer un citoyen qui fût guidé par un sentiment vrai et réfléchi de patriotisme, qu’il le serait de trouver un honnête homme aux galères. Règle générale, la nation était ou anglaise ou française. Les uns juraient par le Premier Consul, les autres par Pitt. Quant aux villes commerçantes, envisagées dans leurs sommités, elles ne faisaient que réfléchir l’opinion anglaise, en l’exagérant encore à cause de la distance. Ceux qui n’avalaient pas de confiance tout ce que les tories anglais s’amusaient à leur servir, prenaient sans sourciller les pilules napoléoniennes. S’il y avait des exceptions, elles étaient en très-petit nombre, et c’était surtout dans la classe des voyageurs, pèlerins qui, en ap-