Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/136

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toujours cette conversation intime avec Lucie ; mais des devoirs sérieux me réclamaient, et il fallut bien fermer et cacheter mes dépêches. Quand je remontai sur le pont, les ondulations de l’océan commençaient à se faire sentir, et bientôt nous étions en pleine mer. Je ne pus m’empêcher de regarder Neb en souriant, quand nous pûmes étendre librement nos regards sur cet immense horizon d’eau. Il était sur la vergue du grand hunier, où il s’était rendu pour tirer le boute hors d’une bonnette de perroquet afin d’établir la voile. Avant de quitter sa position, il se redressa et jeta un regard du côté du vent. Ses yeux s’écarquillèrent, ses narines se dilatèrent ; on eût dit un limier qui flairait le gibier, pendant qu’il aspirait de toute la force de ses poumons l’air chargé des exhalaisons toutes particulières à l’Océan. Je doute que dans ce moment Neb pensât en aucune manière à Chloé.

Dès que nous eûmes franchi la barre, je donnai mon paquet au pilote, et il passa dans son canot. Je ne fus pas obligé de diminuer de voiles à cet effet, car la marche du bâtiment n’excédait pas cinq nœuds par heure.

— Voyez-vous là-bas une voile au sud-est ? dit le pilote en nous quittant, et en nous montrant un point blanc sur l’Océan. Méfiez-vous de ce gaillard-là, et passez à bonne distance de lui ; autrement il pourrait vous faire faire connaissance avec Halifax ou avec les Bermudes.

— Halifax ! les Bermudes ! je n’ai ni besoin ni envie d’y aller. Pourquoi craindrais-je cette voile ?

— Pour deux raisons, d’abord à cause de votre cargaison, et ensuite à cause de vos matelots. C’est le bâtiment de Sa Majesté le Leander. Voilà plus d’une semaine qu’il rôde dans ces parages. Les bâtiments qui rentrent disent qu’il agit d’après des ordres nouvellement reçus, et ils nomment plusieurs navires qui ont été vus se dirigeant vers le nord-est après qu’il les avait abordés. Cette nouvelle guerre va sans doute amener de nouveaux troubles sur la côte, et tous les bâtiments destinés à prendre la mer feront bien de se tenir sur leurs gardes.

« Un bâtiment de Sa Majesté ! » C’était une singulière expression dans la bouche d’un Américain pour désigner un souverain quelconque, vingt ans après la proclamation de l’indépendance des États-Unis. Mais elle était généralement employée à cette époque,