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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/139

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tous mes efforts pour me tenir à bonne distance du Leander.

Le Leander était un bâtiment à deux ponts, de cinquante canons, mauvaise espèce de navire ; mais qui pourtant s’était bien comporté au combat d’Aboukir et dans une ou deux occasions assez célèbres. Néanmoins, j’avais la ferme confiance que l’Aurore pourrait lui échapper, toutes choses égales d’ailleurs. Le Leander acquit ensuite une grande célébrité, sur la côte d’Amérique, par suite de la mort d’un matelot tué par un de ses boulets à bord d’un caboteur, à vingt milles de l’endroit où je le voyais alors, événement qui contribua pour sa part au sentiment d’irritation qui amena la guerre de 1812, dont les effets commencent à se montrer dans la politique de la république. Le Leander était bon voilier pour un bâtiment de ce genre, mais l’Aurore était fine voilière entre tous les navires ; et j’avais grande confiance en elle. Il est vrai qu’il avait sur elle l’avantage du vent ; mais il était à une grande distance au sud, et il était possible qu’on vît de son bord quelque objet qu’on ne pouvait distinguer, même de nos barres de perroquet, sur lesquelles Neb était monté pour visiter l’horizon.

Notre plan fut bientôt fait. Le côté méridional de Long-Island inclinant un peu vers le nord-est, je fis présenter le cap à l’est-quart sud-est, ce qui me permit, comme le vent était sud-sud-ouest, de porter toutes nos bonnettes. La terre était en vue à moins de deux lieues de distance.

Une heure à peine s’était écoulée, et nous pouvions être à quatre lieues du phare de Sandy-Hook, lorsque le vaisseau anglais vira tout à coup de bord, et fit force de voiles pour nous couper notre route. En ce moment, il était devant nous juste par notre travers du vent ; position qui ne lui permettait pas de porter des bonnettes des deux côtés ; car, s’il s’était tenu assez au large pour cela, il serait tombé dans notre sillage ; tandis qu’en allant en dépendant pour nous accoster, ses voiles de l’avant étaient abritées par celles de l’arrière, et cela dans un moment où toute notre voilure tirait comme un attelage de chevaux bien dressés. Malgré cet avantage, nous eûmes une après-midi et une nuit laborieuses. Ces vieux bâtiments de cinquante marchent bien vent arrière ; et plus d’une fois je crus que le Leander allait arriver sur nous. Cependant l’Aurore ne s’endormit pas, et à la faveur du vent qui fraîchit encore, quoiqu’en inclinant plus au sud, le lendemain matin j’eus la satisfaction de voir le fort Montauk