Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/15

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tenant, nous allons procéder par ordre. J’ai parlé à la mère du jeune étourdi qui est tombé dans l’eau, et je lui ai donné quelques avis dans l’intérêt du jeune homme pour l’avenir. Et savez-vous bien quelle raison elle donne pour expliquer la sottise qu’il a faite ? L’amour ! Il paraît que le pauvre diable est amoureux fou de cette jeune personne charmante qui est la sœur de Rupert ; et ce n’était ni plus ni moins que l’amour qui l’avait porté à marcher sur notre gui sans balancier, comme un danseur de corde.

— Et c’est mistress Drewett qui vous a donné ces détails, Marbre ?

— Elle-même, capitaine ; car, pendant que vous vous occupiez de Neb et de Chloé avec la vieille Didon, nous autres, c’est-à-dire le docteur, la mère et moi, nous nous occupions entre nous d’André et de Lucie. La bonne vieille dame m’a donné à entendre que c’était une affaire conclue, et qu’elle regardait déjà miss Hardinge comme sa fille.

J’aurais été étonné d’une pareille indiscrétion, si je n’avais pas réfléchi qu’une pauvre mère, dans la position où s’était trouvée mistress Drewett, pouvait bien manquer un moment de prudence, et qu’un docteur avait des privilèges auxquels Marbre s’était trouvé associé par hasard ; c’était encore une preuve de plus, s’il m’en avait fallu, que j’arrivais trop tard. Lucie n’était plus libre, et n’attendait pour se marier que sa majorité, pour pouvoir prendre les dispositions qu’elle méditait en faveur de son frère. La bienveillance qu’elle me témoignait était le résultat de l’habitude et d’une amitié d’enfance ; si cette bienveillance semblait avoir pris un caractère encore plus affectueux, c’était pour compenser les torts graves qu’elle sentait que Rupert avait envers nous. Et quand tout cela serait vrai, avais-je le droit de me plaindre ? M’étais-je jamais déclaré, moi qui avais été si longtemps sans connaître, moi-même, l’état de mon cœur ? Lucie ne m’avait fait aucune promesse, ne m’avait jamais donné sa foi, n’avait point reçu l’aveu de ma flamme ; elle n’était donc nullement obligée d’attendre mon bon plaisir. Mon affection pour elle était si pure, si désintéressée, que je me réjouissais, même dans mon malheur, que sa véracité et sa franchise fussent à l’abri du plus léger reproche. Après tout, n’était-il pas naturel qu’elle aimât André Drewett, le premier qui lui eût fait la cour, depuis le moment où son cœur avait pu s’ouvrir à des impressions tendres, plutôt que moi, qu’elle avait été habituée depuis l’enfance à regarder comme un frère ? Oui, j’étais assez juste pour en convenir.