Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/204

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bâtiment dont Marbre se défiait était bien un lougre en effet, et, qui pis est, le Polisson, selon toutes les apparences. Il formait avec les quatre autres navires un cercle parfait, au centre duquel était l’Aurore ; c’était lui qui était le plus rapproché de nous ; car les autres pouvaient à peine se voir à travers le diamètre du cercle. Je crus que, dans cette circonstance, le parti le plus sage était de poursuivre notre route, comme des honnêtes gens que nous étions. Marbre fut du même avis, et, à vrai dire, nous n’avions guère la liberté du choix, entourés comme nous l’étions alors. Ce qu’il y avait de plus fâcheux, c’était notre position centrale, qui ne pouvait manquer d’attirer sur nous tous les croiseurs.

Deux heures amenèrent un changement matériel. Les cinq bâtiments nous serraient de plus en plus, et je pus les examiner de plus près. Les deux qui nous restaient à l’arrière étaient évidemment des bâtiments lourds, qui voguaient de conserve, quoique je n’eusse pas su dire à quelle nation ils appartenaient. Ils avaient mis toutes les bonnettes, et, dans toutes les probabilités, il ne leur faudrait pas plus de deux heures pour nous accoster.

Deux des navires qui étaient devant nous me parurent être des frégates ; leur travers était exposé à nos regards ; nous avions déjà vu sortir de l’eau une rangée de sabords ; mais il était possible qu’ils fussent à deux ponts. Ce qui était certain, c’est que c’étaient des bâtiments de guerre ; et, à en juger à la grandeur de l’envergure de leurs voiles hautes, ce devaient être des bâtiments anglais. Ils marchaient aussi de conserve, comme annonçaient les signaux qu’ils échangeaient entre eux, et s’approchaient aussi rapidement à contre bord. Quant au lougre, le doute n’était plus possible : c’était le Polisson, qui venait droit à nous, quoiqu’il eût à ses trousses une corvette qui était déjà dans ses eaux, et qui, toutes voiles dehors, n’en était plus qu’à deux lieues.

M. Gallois avait tant de confiance dans la rapidité de sa marche, qu’il continuait sa route, sans paraître songer à la poursuite dont il était l’objet. Il fallait payer de hardiesse. L’essentiel était de gagner du temps, pour que la corvette pût arriver assez près pour ôter au corsaire l’envie de nous faire de nouveau prisonniers. Ma crainte était qu’il ne nous emmenât tous pour se venger, et qu’il ne mît le feu au bâtiment. Dans tous les cas, j’étais décidé à opposer une vigoureuse résistance.