Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/260

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dans la même position, espérant que le rêve continuerait, et que j’entendrais encore quelques mots de ceux que j’aimais tant ; mais ce fut sans succès. Alors je tombai sans doute dans un sommeil plus profond ; du moins je ne conserve aucun souvenir de ce qui se passa pendant plusieurs heures.

Cette fois je n’attendis pas que le soleil frappât mes paupières pour me réveiller ; dès le point du jour, j’étais sur pied. La mer était toujours aussi tranquille, et il y avait un calme parfait. L’horizon était encore chargé de vapeurs. Je commençai par porter mes premiers regards vers l’orient, où les objets étaient mieux éclairés ; puis les tournant lentement du côté opposé, je vis — non, ce n’était pas une illusion — je vis à six brasses de moi une embarcation. Je me frottai les yeux pour m’assurer que j’étais bien éveillé. Un second coup d’œil me convainquit, non-seulement que je ne me trompais pas, mais que c’était même ma chaloupe, celle dans laquelle le pauvre Neb avait été emporté par-dessus bord. Tout y semblait dans le meilleur ordre, et elle était gréée de deux mâts.

Cette embarcation avait donc résisté à la tempête, et les vents et les courants l’avaient rapprochée du radeau. Qu’était devenu Neb ? Il devait avoir gréé les mats ; car naturellement ces mats n’étaient point établis quand la chaloupe était à bord de l’Aurore. Un sentiment étrange s’empara de moi, comme si j’étais en présence de quelque intervention surnaturelle, et je m’écriai presque involontairement : — Oh ! du canot

— Oh ! répondit Marbre ; qui hèle ainsi ?

En même temps je vis paraître mon lieutenant, qui se levait du fond du canot. Neb était à côté de lui. La conversation de la nuit précédente avait été réelle, et ceux que j’avais pleurés comme perdus étaient à trente pieds de moi, sains, alertes et pleins d’ardeur. Il ne serait pas facile de dire qui fut le plus surpris de cette reconnaissance. Marbre, que la mer avait dû selon moi engloutir en balayant le radeau, était sain et sauf dans la chaloupe ; et moi, que les deux autres croyaient au fond de l’eau avec l’Aurore, j’étais sain et sauf sur le radeau ! Nous avions changé de place sans pouvoir nous expliquer ni pourquoi ni comment. Mais ce qui était bien certain, c’est que nous nous retrouvions tous les trois en chair et en os. Dès que le doute ne fut plus possible, nous nous assîmes et nous nous mîmes à sangloter comme trois enfants. Alors Neb, trop im-