Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/276

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J’observai que les Anglais se battaient dans un morne silence, quoiqu’ils se battissent de tout leur cœur ; parfois une acclamation solitaire s’élevait de quelque coin du bâtiment ; mais, en général, excepté le bruit du combat, on n’entendait guère que les cris des blessés ou la voix de quelque officier donnant un ordre ou adressant un mot d’encouragement.

— Chaude journée, Wallingford ! dit le capitaine en me voyant tout à coup près de lui dans la fumée. Vous n’avez pas affaire ici ; mais néanmoins on aime à voir la figure d’un ami. Vous nous avez regardés ; comment trouvez-vous que cela aille ?

— Cette frégate ne peut manquer de l’emporter, capitaine ; son ordre et sa tenue sont admirables.

— J’aime à vous l’entendre dire ; car je sais que vous êtes un vrai marin. Descendez, Je vous prie, dans la batterie, et voyez un peu ce qui s’y passe. Vous viendrez me dire comment on s’y comporte.

Je me trouvais donc enrôlé comme aide de camp. Je descendis, et, certes, jamais je n’avais été témoin d’un tel spectacle. Quoique la saison fût avancée, la moitié des hommes s’étaient déshabillés ; car c’est une rude tâche de manœuvrer de lourds canons longtemps de suite. On peut, dans l’ardeur du combat, ne pas s’apercevoir de la fatigue, mais on s’en ressent longtemps après. La plupart n’avaient conservé que leurs culottes ; leurs longues queues dures pendaient sur leurs dos nus ; on eût dit autant d’athlètes prêts à descendre dans le cirque. Le pont était rempli de fumée ; c’étaient les amorces brûlées a bord qui produisaient cet effet ; et la poudre, en faisant explosion, s’échappait des sabords pour se diriger en longues colonnes blanchâtres vers l’ennemi. Le lieu où je me trouvais me semblait une sorte de pandémonium. Je voyais des canonniers s’agiter au milieu de la fumée, leurs éponges et leurs refouloirs à la main ; leurs pièces repoussées en arrière, sautant même du pont par la violence du recul ; les officiers faisant leurs signaux avec leurs épées, pour donner plus de force à leurs commandements ; les mousses courant de tous côtés dans la direction des soutes ; les boulets passés de main en main ; et enfin, pour donner le dernier trait à ce tableau, les morts et les mourants nageant dans leur sang au milieu du bâtiment.

Je ne saurais rien dire des manœuvres de ce combat. Mon attention était concentrée sur ce qui se passait à bord ; car, n’ayant rien à