Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/295

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ce qu’elle voudra de son argent, avant qu’un mari mette la main dessus. Vous savez sans doute que M. Rupert est marié, Monsieur ; il est logé comme un nabab dans une des plus belles maisons de New-York ; on dit comme ça qu’il a droit à une partie de la fortune de mistress Bradford, mais qu’il ne doit en jouir que quand miss Lucie sera majeure.

C’était un baume pour mes blessures que tout ce qu’il me disait de Lucie ; mais c’était un sujet trop sacré pour le profaner plus longtemps avec un pareil interlocuteur, et je mis la conversation sur Clawbonny et sur les bruits qui avaient pu circuler à mon égard. Voici ce que j’appris de Jared.

Il paraît que le second lieutenant et quelques-uns des matelots qui avaient été transportés à bord du Rapide, et qui avaient eu le bonheur d’échapper à la presse, avaient regagné les États-Unis, ou ils avaient apporté la nouvelle de la prise du bâtiment, de son apparition inattendue près du lieu du combat, entre les quatre frégates, et de leurs efforts impuissants pour me rejoindre. Cette dernière circonstance, en particulier, avait fait quelque bruit dans les journaux. Des Américains avaient-ils le droit de s’enfuir sur la chaloupe d’un bâtiment de guerre anglais ? Une vive discussion s’était engagée sur ce point. Tout ce que faisait l’Angleterre était parfait aux yeux des fédéralistes ; les démocrates, au contraire, auraient trouvé moyen de justifier tous les abus que la politique de Napoléon le portait à commettre. Cependant, pour être juste, j’ajouterai que le parti anglo-américain était encore plus exagéré que le parti français ; il avait repris toute sa dépendance primitive ; il ne pensait que par la métropole, et son opinion lui arrivait toute faite d’Angleterre. Ce parti devait son existence à l’admiration profondément enracinée de la colonie pour l’ancien siège du pouvoir, tandis que l’autre parti était né de l’opposition. L’alliance de 1778 avait bien exercé quelque influence sur des hommes assez âgés pour avoir pris une part active aux événements de la révolution, mais c’étaient des exceptions. En un mot, cette dernière opinion était jusqu’à un certain point factice, tandis que l’autre était naturelle et d’une grande vivacité.

Les discussions publiques qui s’étaient engagées à propos de l’Aurore avaient donné lieu, parmi mes connaissances, à beaucoup de conjectures sur ce que j’étais devenu moi-même. Les mois se succédant sans qu’on reçût de mes nouvelles, l’opinion que le bâtiment