Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/346

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— Canton, avec vous pour capitaine.

Moïse fut touché jusqu’au fond du cœur de cette preuve de confiance, et la découverte de son origine l’avait tellement relevé à ses propres yeux qu’il ne fit point d’objections. Je n’avais pas l’intention de me lancer régulièrement dans de grandes entreprises commerciales ; mais Marbre fit pour moi plusieurs voyages qui furent très-lucratifs. Une fois il me conduisit avec Lucie en Europe. Ce fut après la mort de mon vieux tuteur, qui fit une fin exemplaire, comme l’avait été toute sa vie. Nous passâmes plusieurs années sur le continent ; et Neb, qui avait été de plusieurs voyages, seulement pour son plaisir, était à bord quand Marbre vint me reprendre au Havre. Je fus frappé de voir à quel point Moïse était changé. Il approchait de soixante-dix ans, et c’est un âge où la plupart des marins ne sont plus bons qu’à prendre leur retraite. Il avait tenu bon, néanmoins, décidé qu’il était à nous reconduire tous, moi, ma femme et nos quatre enfants, à Clawbonny. Mais trois jours après que nous avions appareillé, mon vieil ami dut quitter le pont pour se mettre au lit. Je vis que ses jours étaient comptés ; et je crus de mon devoir de lui faire connaître sa situation. C’était un devoir pénible, mais qui fut adouci pour moi par la résignation et le courage du malade. Ce ne fut que lorsque je cessai de parler, qu’il fit un effort pour me répondre.

— Je sais depuis longtemps, Miles, me dit-il, que le voyage de la vie touche à sa fin. Quand le bois se pourrit, quand les chevilles ne tiennent plus, il est grand temps de démonter la carcasse, pour retirer le cuivre et le vieux fer du bâtiment. L’Échalas et moi, nous allons nous faire nos adieux, et je ne puis mieux faire que de le remettre entre vos mains ; car je ne reverrai jamais les États-Unis. Le bâtiment est a vous, et personne ne peut mieux en prendre soin. J’avoue que j’aimerais à être enfermé dans quelque chose qui lui eût appartenu. Vous savez bien cette cloison qu’on a retirée pour préparer des chambres pour votre famille ; on en ferait un cercueil aussi commode qu’il soit possible à un honnête marin d’en désirer un.

Je promis à Marbre de faire ce qu’il désirait. Après une courte pause, il me sembla que le moment serait favorable pour lui dire un mot de l’avenir. Marbre n’avait jamais été vicieux ni pervers ; c’était un parfait honnête homme, et il ne devait avoir à se reprocher que de ces petites peccadilles dont les marins, pas plus que les