Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/62

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— Il ne faut excepter personne : il nous est ordonné d’aimer ceux qui nous haïssent, et de prier pour ceux qui nous persécutent.

Marbre regarda M. Hardinge en ouvrant de grands yeux ; car il eût été difficile de trouver, dans un pays chrétien, quelqu’un dont l’instruction religieuse fût encore si complètement à faire. Il est plus que probable que c’était la première fois que ce commandement si connu frappait ses oreilles ; mais il était évident qu’il éveillait de nouvelles idées dans son âme, et que Marbre commençait à comprendre tout ce qu’il avait de sublime, quoiqu’il doutât encore.

— Où nous dit-on d’agir ainsi ? demanda-t-il enfin.

— Où ? dans le livre où tous nos devoirs nous sont tracés, dans la Bible. Il faut que vous en veniez à essayer d’aimer M. Van Tassel, et à lui souhaiter du bien, au lieu de nourrir contre lui des sentiments de haine et de vengeance.

— Et c’est là ce qu’on appelle la religion ?

— C’est le Christianisme ; c’est son esprit, c’est son essence. Quiconque agit d’après ces préceptes, a le cœur en repos et la conscience tranquille.

Marbre avait un respect sincère pour mon tuteur ; il savait, et par ce qu’il m’avait entendu dire, et par ce qu’il avait vu lui-même, tout ce qu’il y avait en lui de douceur, de bienveillance, de droiture. Néanmoins ce n’était pas une leçon bien facile à inculquer tout de suite dans un esprit aussi peu préparé que le sien, que cet amour de ses ennemis ; et, dans ce moment même, Marbre n’était rien moins que disposé à pardonner à Van Tassel. Je le connaissais trop bien pour ne pas m’en apercevoir facilement ; et pour prévenir une discussion inutile qui aurait pu fatiguer ma sœur, je détournai la conversation sur un autre sujet.

— Puisqu’il est question de ce M. Van Tassel, dis-je à M. Hardinge, je désirerais avoir votre avis sur ce que nous avons de mieux à faire dans cette circonstance.

Je lui racontai alors l’histoire de la créance hypothécaire, et la nécessité d’agir promptement, puisque la vente était annoncée pour la semaine suivante. Mon tuteur connaissait mieux le pays que moi ; il trouva que Marbre n’avait pas un instant à perdre pour faire toutes les démarches nécessaires ; et que, pour gagner du temps, il fallait débarquer à Hudson, d’où il se rendrait par terre à New-York. Il se mit en même temps à lui tracer des instructions par écrit ; car,