Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/88

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des nouvelles que Chloé lui transmettait de moment en moment. Lucie me rappela bientôt, Grace ayant exprimé le désir de m’avoir auprès d’elle.

— Notre séparation ne sera que d’un instant, et nous nous retrouverons de nouveau tous ensemble, dit-elle d’une voix si claire et si distincte qu’elle nous fit tressaillir. La mort en s’approchant nous place sur une hauteur d’où nous pouvons voir le monde et toutes ses vanités d’un seul coup d’œil.

Je pressai la pauvre enfant contre mon cœur, comme pour témoigner, malgré moi, combien il m’était difficile de regarder sa perte avec cette philosophie religieuse qu’elle cherchait à m’inculquer.

— Ne vous désolez pas, Miles, ajouta-t-elle ; du courage, Dieu vous adoucira cette épreuve, et il saura la faire tourner à votre avantage éternel.

Voyant que je ne répondais rien, Grace fit un effort pour regarder de mon côté, et elle reprit d’un air attendri :

— Pauvre Miles ! je voudrais presque que nous fissions ensemble le grand voyage ! Vous avez été toujours pour moi un si bon, un si tendre frère ! Il m’en coûte de vous laisser presque seul dans ce monde. Mais vous aurez M. Hardinge et notre Lucie.

Elle s’arrêta, et son regard erra de moi à Lucie qui sanglotait à genoux. Elle semblait au moment d’exprimer un désir ou quelque regret qui se rattachait à nous deux : mais elle se contint, quoique son regard fût trop éloquent pour que je pusse m’y méprendre. Sans doute elle pensa qu’il était trop tard, puisque Lucie avait donné son cœur à André Drewett. En ce moment, les paroles de Neb me revinrent malgré moi à la mémoires : « Maître, je voudrais que ni vous ni moi nous n’eussions jamais vu l’eau salée. » Mais je chassai aussitôt cette idée ; et Grace elle-même sentait trop clairement que ses minutes étaient comptées pour s’y arrêter longtemps.

— La toute miséricordieuse Providence arrangera tout pour le mieux, murmura-t-elle, pendant que son esprit cherchait à se concentrer uniquement sur sa situation. Mais elle nous aimait trop, Lucie et moi, pour avoir pu ne pas s’occuper de notre avenir, même à l’heure de la mort.

M. Hardinge se mit alors à genoux, et le quart d’heure qui suivit se passa en prières. Quand il se releva, Grace, les yeux empreints d’une sérénité toute divine, lui donna la main, et, d’une voix dis-