yeux restèrent attachés sur les miens. Mes sanglots éclataient malgré moi. Tout à coup nous entendîmes sa voix prier avec une ferveur qui la rendait distincte ; les paroles qu’elle prononça respiraient l’attachement sans bornes qu’elle n’avait cessé de me porter depuis mon enfance : — Père tout-puissant, disait-elle, jette un regard de bonté sur ce frère chéri ; ne l’abandonne pas aux jours des épreuves, et, quand tu le jugeras convenable, appelle-le, par les mérites du Sauveur, dans la demeure de la félicité éternelle !
Ce furent les dernières paroles que Grace Wallingford prononça jamais. Sa vie se prolongea encore pendant dix minutes, et elle mourut sur mon sein comme l’enfant qui rend le dernier soupir dans les bras de sa mère. Ses lèvres s’entrouvrirent plusieurs fois ; je crus saisir le nom de Lucie, mais j’ai sujet de croire qu’elle pria pour nous tous, sans excepter Rupert, jusqu’au moment où elle cessa d’exister !
CHAPITRE VIII.
e ne revis jamais plus les traits de ma sœur. Il y a des personnes
pour qui c’est une espèce de besoin d’aller contempler des morts ;
pour moi, j’ai toujours éprouvé un sentiment contraire. Tout enfant,
j’avais été conduit dans la salle de famille pour y voir successivement
mon père et ma mère, exposés sur un lit de parade. J’étais
alors un être purement passif, et il fallait suivre l’impulsion qui
m’était donnée ; à présent que j’étais en âge de juger par moi-même,
dès qu’il me fut possible de penser à quelque chose, je me dis que
le dernier regard d’affection jeté sur moi par ma sœur, ce regard où
respirait jusqu’au dernier moment toute la pureté de son cœur,
serait l’impression durable que je conserverais et sur laquelle je
voulais rester. Toujours, depuis lors, il me semble que je le vois se
fixer sur moi, et je me suis félicité bien des fois de n’avoir pas permis
que de tristes images de décomposition et de mort vinssent
altérer en rien ce précieux souvenir.