Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/93

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À peine avais-je imprimé un long et dernier baiser sur le front d’ivoire, mais encore tiède, de ma pauvre sœur, que je quittai la maison. Je n’avais pas à craindre de regards importuns qui me forçassent à me renfermer dans mon cabinet, et il me semblait qu’il me serait impossible de respirer ailleurs qu’en plein air. En traversant la petite pelouse, j’entendis les gémissements convulsifs qui partaient de la cuisine. Maintenant que la malade ne pouvait plus être troublée par leurs lamentations, les fidèles esclaves ne se contenaient plus, et j’étais déjà loin que j’entendais encore retentir leurs sanglots.

Je suivis le chemin qui était devant moi, sans autre but que de faire diversion aux sentiments douloureux qui m’oppressaient, et j’entrai dans le petit bois, qui était le dernier objet du monde extérieur qui eût attiré l’attention de ma sœur. Là tout me rappelait le passé ; les jours de mon enfance et de ma jeunesse ; la douce intimité dans laquelle les quatre enfants de Clawbonny avaient vécu ensemble, courant dans ces bosquets avec toute la folle insouciance de leur âge. Je restai assis une grande heure dans le bois, et je n’y vécus que dans le passé ! Je voyais empreinte dans chaque feuille l’image angélique de Grace, j’entendais ce rire peu bruyant, mais si gai, qui lui était habituel dans ses jours de bonheur ; le son de sa douce voix retentissait à mon oreille presque comme si elle eût été auprès de moi. Rupert et Lucie étaient aussi avec nous. Je les voyais, je les entendais ; je cherchais à prendre part à leurs innocents plaisirs, comme autrefois ; mais la triste vérité venait jeter son ombre lugubre sur ces riants tableaux, et le charme était détruit.

Quand je quittai ce petit bois, ce fut pour chercher des allées plus touffues, ou des plaines plus éloignées de la maison. Il faisait nuit quand je songeai à revenir. Tout ce temps fut passé dans une espèce d’hallucination mystique où mon esprit se perdait dans des images étrangères à celles que j’avais eues si récemment sous les yeux. Partout Grace m’apparaissait. Tantôt c’était l’enfant au berceau qu’on me permettait de conduire dans un petit chariot ; c’était le plus éloigné de tous ceux de mes souvenirs qui se rapportaient à cette sœur chérie ; un peu plus grande, elle courait après moi pendant que je lançais mon cerceau dans l’espace ; tantôt c’étaient de petites leçons que je lui faisais réciter ; j’entendais les recomman-