Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 24, 1846.djvu/148

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Trois heures environ avant le coucher du soleil, le soir du 23 septembre 1776, Maud Willoughby poursuivait sa route, toute seule, le long des sentiers battus par le bétail, à une petite distance d’un rocher Sur lequel Mike, par ordre de son père, avait fait un siège grossier. C’était un des endroits les plus éloignés des cabanes ; mais dès qu’on était arriva sur l’élévation, la vue pouvait dominer tout le petit panorama qui environnait le site de l’ancien étang. À cette époque, les dames portaient les chapeaux de gipsy, si connus, et dont la forme convenait particulièrement au visage de notre héroïne. L’exercice avait donné de vives couleurs à ses joues, et quoique une expression mélancolique reposât d’habitude sur sa douce physionomie, cette animation donnait à ses yeux un lustre inusité, et à sa beauté un éclat qu’une coquette eut été charmée de posséder. Quoiqu’elle vécût retirée, elle s’habillait toujours selon son rang, simplement, mais avec l’élégance et le bon goût d’une femme bien élevée. Maud, qui avait peu pensé jusque-là à ce qu’elle se devait à elle-même, soignait beaucoup plus sa toilette depuis que Robert lui avait fait comprendre le prix qu’il attachait à ses charmes.

Dans une rêveuse disposition d’esprit, Maud gagna le rocher, et prit sa place accoutumée sur le banc, jetant de côté son chapeau, afin qu’un peu d’air vînt rafraîchir ses joues brûlantes. Elle tourna ses regards vers la charmante vue qui se déroulait sous ses pieds et contempla ce spectacle avec un plaisir toujours nouveau. Les rayons du soleil tombaient obliquement sur les prairies verdoyantes, prolongeant les ombres et donnant à tous les objets une teinte adoucie qui ravissait les yeux. La plupart des gens de l’établissement étaient alors en mouvement ; les hommes travaillaient dans les champs ; les femmes et les enfants, assis à l’ombre, s’occupaient à tourner le rouet ou à des ouvrages d’aiguille. Il y avait là une de ces scènes paisibles de la vie rurale, qu’un poëte serait ravi de décrire, qu’un artiste aimerait à esquisser.

— Que c’est beau ! pensa Maud. Pourquoi les hommes ne se contentent-ils pas de cette simple vie, de l’amour qu’ils devraient avoir les uns pour les autres ? Pourquoi ne peuvent-ils rester en paix soumis aux lois de Dieu ? Nous pourrions vivre tous si heureux ici, sans trembler à chaque fâcheuse nouvelle qui nous arrive d’heure en heure. Beulah et Evert ne se sépareraient pas, tous deux resteraient avec leur enfant, et mon père et ma mère aime-