Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 24, 1846.djvu/24

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avait pour elles le même respect que le montagnard des Alpes professe pour les couvents de refuge.

La traversée de l’Otségo fut la partie la plus facile et la plus agréable du voyage. La journée était belle et les rameurs vigoureux, sinon habiles, de sorte que les mouvements étaient rapides et suffisamment directs mais un incident troubla la tranquillité du voyage. Parmi les ouvriers engagés par le capitaine était un habitant du Connecticut, nommé Joël Strides, qui avait commencé une guerre de taquineries et de petites malices avec l’homme de Leitrim. Cette guerre était complétement défensive de la part de Michel O’heara, qui se bornait, en manière de riposte, à plaisanter sur les formes longues, grêles et maigres de son adversaire. Depuis que Joël était au service du capitaine, on ne l’avait pas vu sourire une seule fois, quoique deux ou trois fois il eût ri aux éclats et toujours aux dépens de Michel O’heara, qui ne manquait jamais de tomber dans le piège que lui tendait son camarade.

Dans l’occasion présente, Joël, qui présidait aux opérations de l’embarquement, avait placé Michel seul dans une chaloupe, lui persuadant qu’il la conduirait facilement jusqu’au bout du lac. Autant eût valu demander à Michel de marcher sur la surface de l’eau ; car il n’avait de sa vie manié une rame. Cependant, plein de cœur et de bonne volonté, il accepta sa tâche. — S’il suffit d’une certaine quantité de vigueur et de travail, dit-il, du diable si je n’en viendrai pas à bout !

Quant à Joël Strides, il devait conduire le bateau où se trouvaient le capitaine et sa femme, et il avait choisi pour cela les meilleures rames dans les autres bateaux, et tout disposé de manière à naviguer rapidement sans trop d’efforts. Le principe d’égoïsme dominait chez lui, et il ne songeait qu’à son bien-être personnel, quoique dans cette occasion ses soins dussent profiter à ses maîtres.

La plupart des chaloupés et des canots étaient partis une demi-heure avant que madame Willoughby fût prête ; Joël prenant ses mesures pour que Mike restât le dernier, sous prétexte qu’il avait besoin de son aide pour transporter la literie de la hutte dans la chaloupe. Tout fut près enfin, et Joël, prenant son siège, dit à Mike avec son accent traînard : — Vous nous suivrez, et vous ne pouvez rester longtemps loin de nous. Puis il s’éloi-