Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/142

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était habituellement silencieuse ; mais Anneke, sans être d’une loquacité bien grande, aimait assez à causer. Cependant, ce jour-là, elle se borna aux quelques phrases de politesse obligées dans la bouche d’une maîtresse de maison. Une ou deux fois je ne pus m’empêcher de remarquer que sa main restait machinalement sur l’anse de la théière, après qu’elle avait servi, tandis que ses grands yeux bleus semblaient fixés dans l’espace, comme une personne qui est absorbée dans ses pensées. Chaque fois qu’elle sortait de ces petites rêveries, un certain embarras se peignait sur sa figure, et elle faisait des efforts évidents pour cacher sa préoccupation involontaire. Ces distractions ne cessèrent que lorsque Bulstrode, qui venait de s’entretenir avec notre hôte des mouvements de l’armée, m’adressa tout à coup la parole.

— Eh bien ! monsieur Littlepage, me dit-il, je présume que votre voyage à Albany tient à l’intention où vous êtes de nous accompagner dans la campagne qui va s’ouvrir. J’entends dire que beaucoup de jeunes gens de la colonie se proposent de venir avec nous à Québec.

— C’est un peu plus loin que je ne comptais aller, monsieur Bulstrode, d’autant plus que je n’avais nulle idée que les troupes du roi dussent avancer jusque-là. L’intention de M. Follock et la mienne est de demander la permission de nous attacher à quelque régiment, et d’aller au moins jusqu’à Ticonderoga ; car nous n’aimons pas à penser que les Français occupent un poste comme celui-là, sur les limites mêmes de notre province.

— C’est parler en brave, monsieur, et quand le moment sera venu, j’espère que vous voudrez bien ne pas m’épargner. Notre table d’officiers serait charmée de vous recevoir, et vous savez que je la préside depuis que le lieutenant-colonel nous a quittés.

Je remerciai, et la conversation prit un autre cours.

— J’ai rencontré Harris en venant ici, continua Bulstrode, et, dans son baragouin irlandais, car je maintiens qu’il est Irlandais, bien qu’il soit né à Londres, il m’a fait le récit assez piquant d’un souper auquel il avait pris part, souper enlevé par un détachement de jeunes maraudeurs d’Albany, et apporté dans notre caserne pour régaler quelques-uns de nos messieurs. C’était un assez mauvais tour, quoiqu’on dise qu’un Hollandais ne s’en fâche ja-