Ce fut la dernière conversation que j’eus avec ce brave officier ; ce furent les dernières paroles que je l’entendis prononcer. À partir de ce moment toute son âme sembla se concentrer dans l’accomplissement de son devoir pour assurer le succès de nos armes et la défaite de l’ennemi.
Je n’ai pas assez d’expérience pour pouvoir décrire en homme du métier la suite des événements qui se passèrent alors. Quand l’avant-garde arriva sur le bord du lac, où les terres étaient peu élevées, et couvertes en grande partie de bois, on fit avancer quelques bateaux sur lesquels étaient montées un certain nombre de pièces d’artillerie. Les Français avaient réuni sur ce point des forces considérables pour empêcher notre débarquement ; mais il paraît qu’ils n’avaient point assez de canons pour opposer une résistance sérieuse ; notre mitraille enfila les bois, et l’on ne nous répondit que faiblement. Il est vrai que nous avions dirigé notre attaque sur un point autre que celui où nous étions attendus. Au signal donné, l’avant-garde s’élança sur le rivage, conduite par notre digne commandant, et elle parvint à s’y maintenir sans avoir éprouvé de pertes sérieuses. Guert, Dirck, Jaap et moi nous nous tenions les plus près possible du vicomte, qui donna aussitôt l’ordre de se porter en avant à la poursuite de l’ennemi qui battait en retraite. L’escarmouche ne fut pas bien vive, et nous gagnâmes du terrain à mesure que les Français se repliaient sur Ticonderoga. J’aperçus dans l’éloignement une nuée d’Indiens devant nous, et j’avoue que je craignis une embuscade ; car les artifices et les stratagèmes de ces habitants des bois ne pouvaient être inconnus d’une personne née et élevée comme moi dans la colonie ; la tradition seule eût suffi pour me les rendre familiers. Nous avions débarqué dans une crique qui était plutôt sur le bord occidental du lac qu’à son extrémité proprement dite ; et dès que la place fut balayée, le général Abercrombie débarqua la plus grande partie de ses troupes, et les forma en colonnes : deux au milieu, composées de six régiments réguliers, pouvant compter plus de six mille hommes ; une de chaque côté, où se trouvaient en tout cinq mille hommes des milices des provinces. Quatre mille hommes de ces mêmes milices restaient pour garder les embarcations, qui étaient alors au nombre de