Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/273

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barcations avaient quelque toile à déployer, notre marche acquit un nouveau degré de célérité. À neuf heures nous étions entrés dans le lac inférieur, et tout annonçait qu’avant midi nous serions arrivés à notre destination. J’avoue que l’expédition dont nous nous trouvions faire partie, cette situation si nouvelle pour moi, la certitude de trouver dans Montcalm un ennemi aussi expérimenté que brave, tout contribua à me donner des idées sérieuses pendant les premières heures de notre navigation. Dans l’inaction où j’étais, si novice dans le métier des armes, était-il surprenant que je fusse assailli par ces réflexions solennelles qui manquent rarement de s’emparer de l’esprit lorsqu’on voit s’approcher la mort, sinon pour soi, du moins pour plusieurs de ceux qui nous entourent ?

Notre brave commandant, qui avait servi en Allemagne sous les ordres de son illustre aïeul, ne s’abandonnait pas à un vain esprit de jactance ; mais il avait l’air grave et pensif d’un homme qui sait qu’il tient dans ses mains la vie d’un grand nombre de ses semblables. Ce n’était ni de l’hésitation, ni de l’abattement ; c’était un sentiment profond de la responsabilité qui pesait sur lui. Une fois je surpris son regard qui s’était fixé sur moi avec une expression mélancolique ; et je suppose que la question qu’il m’adressa bientôt après se rattachait au sujet de ses pensées.

— Que ne souffrirait pas notre bonne et excellente amie, madame Schuyler, si elle savait dans quelle position précise nous nous trouvons en ce moment, monsieur Littlepage ? Je suis sûr que cette excellente dame éprouve plus d’inquiétude pour ses amis qu’ils ne sauraient en éprouver eux-mêmes.

— Je crois, milord, qu’en pareil cas nous serions assurés du moins du secours de ses prières.

— Ne m’a-t-elle pas dit, Littlepage, que vous étiez fils unique ?

— Oui, milord, et c’est un grand bonheur que ma mère ignore ce qui va se passer.

— J’ai aussi, moi, des parents qui m’aiment ; mais ils savent que j’ai embrassé la carrière militaire, et que je dois en courir les risques. Heureux le soldat qui, au moment du danger, peut bannir de son esprit l’idée de ces liens si chers et si doux ! Mais nous approchons du rivage ; songeons à notre devoir.