Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/336

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Aucun de nous n’eut le courage de répondre ; mais sans doute nos regards en disaient assez ; car Herman Mordaunt reprit aussitôt :

— Non, ce n’est pas possible ! comment, tous ?

— Tous, monsieur Mordaunt, jusqu’à mon pauvre esclave Peter, répondit Guert d’un ton solennel. Surpris sans doute pendant qu’ils étaient séparés, ils ont été massacrés en notre absence.

Les chères filles étendirent les mains avec horreur, et il me sembla que les lèvres pâles d’Anneke murmuraient une prière. Son père secoua la tête, et, pendant quelque temps, il marcha en silence dans l’appartement. Puis se faisant violence, comme quelqu’un qui sent la nécessité de montrer du calme et de l’assurance, il reprit la conversation :

— Grâce à Dieu, M. Bulstrode est arrivé hier sain et sauf, un moment après le départ du coureur, et il est, lui, à l’abri de la rage de ces démons incarnés

M. Mordannt nous proposa alors de nous conduire à son appartement, car Bulstrode avait exprimé le désir de nous voir dès que nous serions libres. Le major nous reçut avec son affabilité ordinaire, et il parla avec beaucoup de sens de la funeste campagne de Ticonderoga, sans chercher à cacher la mortification qu’il avait éprouvée, avec tout l’empire britannique. Par bonheur sa blessure n’était pas dangereuse, et il en serait quitte pour boiter pendant quelques semaines.

— N’ai-je pas en l’adresse de me faire conduire dans un assez bon hôpital, ce malencontreux siège excepté, Corny ? me dit-il quand on nous eut laissés seuls. Notre rivalité, toute généreuse, a maintenant un beau champ pour s’exercer. Si nous quittons cette maison sans savoir exactement l’état du cœur d’Anneke, nous sommes deux grands nigauds qui méritons d’être condamnés au célibat pour le reste de notre vie. Jamais il ne s’est présenté une pareille occasion de faire sa cour !

— J’avoue que l’occasion ne me paraît pas si merveilleusement favorable, monsieur Bulstrode. Anneke est trop agitée, elle a trop à craindre et pour elle et pour les autres, pour pouvoir être susceptible en ce moment d’un sentiment plus tendre, comme