Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/57

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je m’acheminai vers la ville. Je me croisai en chemin avec plusieurs équipages remplis d’enfants de grandes familles qui, à leur tour, allaient voir la fête. Je reconnus sur les portières le Vaisseau des Levingston, la Lance des de Lancey, le Château Brûlant des Morris, et d’autres armoiries bien connues dans la province. Les voitures n’étaient pas alors aussi communes que de nos jours ; cependant la plupart des gens de condition en avaient pour aller à la campagne.

Toute la ville semblait sur pied, et la plaine, qui est l’emplacement du Parc actuel, se remplissait de plus en plus de curieux. La guerre avait amené plusieurs régiments dans la province, et je rencontrai au moins vingt jeunes officiers que Pinkster attirait comme les autres. J’avoue que je les regardais avec admiration, peut-être même avec envie, pendant qu’ils passaient deux par deux, se tenant par le bras. Presque tous avaient été élevés en Angleterre, plusieurs dans les universités ; tous, à l’exception de quelques jeunes gens des colonies, avaient vu la meilleure société anglaise. Ils avaient un air d’aisance, de satisfaction, tranchons le mot, de suffisance, qui ne laissa pas de faire quelque effet sur moi. J’étais un sujet fidèle, j’aimais le roi, surtout depuis qu’il s’était si profondément identifié avec la succession protestante, j’aimais tous les membres de la famille royale, et je ne désirais rien tant que la gloire et la splendeur de la couronne d’Angleterre ; je ne pouvais donc avoir que des sentiments de bienveillance pour les officiers de Sa Majesté ; et cependant, je l’avouerai, cet air de morgue où perçait la supériorité de la métropole sur la colonie, de manière à rappeler celle du patron sur le client, du maître sur l’esclave, cet air me blessait profondément. Mais n’anticipons pas sur les événements.

Un peu fatigué de ma promenade, ému de tous les incidents de la matinée, j’avais hâte de rentrer à la maison, et je pris le chemin de Duke-Street où m’attendait le dîner froid de ma tante. Je dis le dîner froid ; car pendant trois jours il fallut bien se résoudre à se passer à peu près de cuisinier. Quelquefois on trouvait bien un blanc pour venir faire le service ; mais c’étaient des bonnes fortunes assez rares. Il nous en arriva un à une heure et demie : c’était le domestique anglais d’un colonel Mosely, ami