Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/11

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lorsque nous étions ensemble à Saratoga, le commandant en chef étant venu à passer à cheval devant notre tente, le capitaine Coejemans me dit avec expression : — Vous voyez, Mordaunt, mon prave garçon, voilà Son Excellence qui passe ! Eh ! pien, ce serait le plus heureux jour de ma vie, si je pouvais porter la chaîne pendant qu’il arpenterait un tout petit pout de ferme dans ces environs !

André, qui parlait généralement bien anglais, du moins l’anglais des colonies, avait quelque chose de plus ou moins hollandais dans sa prononciation, suivant qu’il était plus ou moins animé. Dans le cours des différentes visites que je rendis au camp, je me pris pour lui d’une amitié toute particulière, qui me fut inspirée par l’originalité de son caractère, et qu’il me rendit par reconnaissance.

Grâce aux épisodes des vacances, mes études se prolongèrent pendant six années, et j’avais dix-neuf ans quand je pris mes grades. C’était l’année du siège de Charlestown, et je servis comme enseigne dans le bataillon de mon père. J’eus aussi le bonheur d’entrer dans la compagnie du capitaine Coejemans, circonstance qui fortifia encore l’affection que je portais au vieux militaire. Je dis vieux ; car, à cette époque, André n’avait pas moins de soixante-sept ans, quoiqu’il fût aussi actif, aussi dispos, aussi bien portant que le plus jeune d’entre nous. Pour ce qui était de supporter la fatigue, quarante ans passés en grande partie dans les bois en faisaient, sous ce rapport, notre maître à tous.

J’aimais mes parents d’une affecticn sincère, d’abord parce que c’étaient mes parents, et ensuite parce que je n’aurais pu en désirer de meilleurs ; j’aimais miss Mary Wallace, ou ma tante Mary, comme on m’avait habitué à l’appeler, parce que c’était la plus douce et la plus affectueuse des créatures ; j’aimais le major Dirck Follock comme une sorte d’ami héréditaire, qui en mille occasions m’avait aidé de ses conseils et de son expérience ; j’aimais le domestique nègre de mon père, Jaap, comme nous aimons un serviteur fidèle ; mais André, je l’aimais sans savoir pourquoi. Il était d’une ignorance grossière ; se faisant les idées les plus singulières sur cette terre et sur ce qu’elle contient ; il avait des manières qui n’étaient rien moins que distinguées,