Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/153

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nous enfuyons à qui mieux mieux. Les masses exercent une influence irrésistible sur les individus.

— Suivant ce principe, notre nouvelle forme de gouvernement devrait être bien forte, et pourtant j’ai entendu exprimer des opinions tout à fait contraires.

— À moins qu’un miracle ne s’opère en notre faveur, notre gouvernement, si fort à certains égards, est d’une faiblesse déplorable sous d’autres rapports. Ainsi, il renferme en soi un principe de conservation qui manque à d’autres systèmes, puisqu’il faut que le peuple se révolte contre lui-même pour le renverser ; mais, d’un autre côté, il lui manque ce principe actif d’une justice toujours ferme, toujours conséquente avec elle-même, parce qu’il n’y a pas de pouvoir indépendant dont ce soit le devoir et l’intérêt de la faire administrer. C’est là notre côté faible, parce que c’est ainsi que rien n’est plus en sûreté, ni la personne, ni le caractère, ni la fortune des particuliers ; et c’est ainsi que les institutions deviennent odieuses à ceux mêmes qui dans l’origine les ont le plus aimées.

— Les nôtres du moins, j’espère, ne courent pas ce danger ?

— Rien de ce qui tombe sous le contrôle de l’homme n’est à l’abri de ces variations. Il n’y a qu’un gouvernement parfait : celui de l’univers, et cela parce qu’il émane d’une seule volonté, et d’une volonté impeccable.

— On dit pourtant que les gouvernements despotiques sont les pires de tous.

— Tout dépend de la manière dont ils sont administrés. La nécessité pour eux d’employer la force pour se maintenir les rend souvent oppresseurs ; mais le gouvernement des masses peut devenir plus tyrannique encore que celui des individus ; car l’opprimé trouve au besoin un appui dans le peuple contre le despote ; mais où en trouvera-t-il contre le peuple lui-même ? Vous avez vu que ces pigeons avaient perdu leur instinct par suite de l’impulsion qui leur avait été imprimée par la masse. Dieu nous préserve toujours de la tyrannie des masses !

Je continuai à causer ainsi avec Ursule jusqu’au moment où elle remonta à cheval. Le lecteur trouvera sans doute que c’était un genre de conversation bien sérieux et bien abstrait pour une