Aller au contenu

Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à une évaluation approximative, et je me rappelle que Frank et moi nous estimions à un million le nombre des oiseaux revenus, et au même nombre autant celui des oiseaux partis. Comme le pigeon est très-vorace de sa nature, on se demande naturellement où il se trouve assez de nourriture pour tant de becs. En admettant que la colonie que je visitai contînt plusieurs millions d’oiseaux, et je suis sûr que tout compté, grands et petits, il ne pouvait pas y en avoir moins, il y avait probablement pour chacun d’eux un arbre portant fruit, qu’ils pouvaient gagner à tire d’aile en moins d’une heure.

Telle est l’échelle sur laquelle la nature travaille dans le désert ! J’ai vu des insectes flotter dans l’air, dans de certaines saisons et à certains endroits, en si grande quantité qu’ils formaient de petits nuages ; il n’est personne qui n’ait dû maintes fois en voir autant ; en ! bien, c’est en diminutif l’effet que produisaient les pigeons au perchoir de Mooseridge. Nous passâmes une heure dans la ville des oiseaux, retrouvant nos langues et nos facultés à mesure que nous nous accoutumions à notre situation. Bientôt Ursule recouvra assez de sang-froid pour jouir sans contrainte du spectacle que nous avions sous les yeux. Nous nous mîmes à observer ensemble les habitudes de ce peuple intéressant, et cette étude acquit un nouveau charme à mes yeux à cause de celle avec qui je la faisais. Après avoir passé ainsi une grande heure, nous descendîmes la colline, et notre départ ne produisit pas plus de sensation que notre arrivée.

— N’est-il pas remarquable, me dit Ursule, que ces pigeons qui, isolés ou par petites troupes, ne nous auraient pas laissés approcher sans prendre aussitôt la fuite, soient si familiers ici ? Est-ce le nombre qui leur donne du courage ?

— Il leur donne du moins de la confiance. Nous autres hommes, nous sommes de même. Les dangers qui nous effraieraient quand nous sommes presque seuls, nous deviennent indifférents dès que nous nous trouvons en grand nombre.

— D’où vient donc que la panique se met dans une armée ?

— D’après la même loi qui fait que l’homme obéit à l’impression de ceux qui l’entourent. Si l’impulsion est en avant, nous nous précipitons dans la mêlée ; si elle est en sens contraire, nous