Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/164

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bone avait pris sur moi. Elle me semblait réunir tout ce qu’un homme pouvait désirer dans la compagne de sa vie, et sa pauvreté ne me paraissait pas un obstacle à notre mariage. Par son éducation, par sa famille, elle était à mon niveau, et j’avais assez de fortune pour deux. Il était essentiel pour le bonheur d’un ménage que l’on eût les mêmes habitudes, les mêmes opinions, les mêmes préjugés, si vous voulez ; mais, au delà, toute considération d’intérêt ne devait, suivant moi, exercer aucune influence.

D’après cette manière de voir, et sous l’impulsion d’un attachement aussi vif que profond, j’ouvris toute mon âme à Ursule. Je crois que je parlai bien un quart d’heure sans être interrompu une seule fois. Je ne souhaitais pas d’entendre la voix d’Ursule ; car j’avais la défiance qui est, dit-on, la compagne inséparable du véritable amour, et je tremblais que la réponse ne fût pas conforme à mes désirs. Je pus m’apercevoir, malgré l’obscurité croissante, qu’elle était fortement agitée ; et j’avoue que cette circonstance me parut favorable. Voyant qu’on gardait le silence, je pressai Ursule de s’expliquer, et voici ce qu’elle me répondit enfin enfin d’une voix tremblante :

— Je vous remercie du fond du cœur, monsieur Littlepage, de cette déclaration inattendue, et, j’aime à le croire, sincère. Venant de vous, et s’adressant à une pauvre orpheline, elle indique une honorable franchise, une noble générosité, que je n’oublierai jamais. Mais je ne suis plus maîtresse de ma foi ; elle est engagée à un autre ; c’est un engagement sacré, que mon cœur a ratifié, et je dois d’autant plus ne vous laisser aucun doute sur mes sentiments, que votre offre est plus délicate et plus généreuse.

Je ne pus en entendre davantage ; car, me levant précipitamment, je m’éloignai à grands pas et je m’enfonçai dans la forêt.