Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/18

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mes explications préliminaires. À l’époque de la paix, nous étions loin d’être riches. Mon grand-père paternel avait pour tous biens Satanstoe, ferme peu étendue, mais dont les terres étaient excellentes ; et quelques sommes placées à intérêt. Ce fut un beau jour pour lui que celui où il put reprendre possession de sa maison, lorsque sir Guy Carleton retira tous ses détachements du West-Chester. Mais, dans l’année même de son retour, il mourut de la petite vérole dont il avait rapporté le germe de l’armée. Mon père n’était revenu à Lilacsbush qu’après l’évacuation, qui eut lieu le 25 novembre 1783. Les maisons et les magasins que nous avions à New-York avaient été occupés par l’ennemi, ce qui avait interrompu le paiement des loyers, et il n’était pas facile de faire rentrer des intérêts dus par des personnes qui habitaient dans l’enceinte des lignes anglaises.

À qui voit l’état actuel du pays, il n’est pas aisé de faire comprendre ce qu’il était alors. Pour en donner une idée, je rapporterai une aventure qui m’est personnelle, et qui remonte à l’époque où j’allai rejoindre l’armée. Elle me fournira, en même temps, l’occasion de présenter au lecteur un ancien ami de la famille, qui s’est trouvé jouer un rôle important dans divers événements de ma propre vie. J’ai parlé de Jaap, un esclave de mon père, qui était à peu près de mon âge. À l’époque dont je parle, Jaap était un nègre entre deux âges, à tête grisonnante, ayant la plupart des défauts et toutes les qualités des êtres de sa race et de sa condition. Ma mère était si sûre de sa fidélité qu’elle demanda, avec instance, qu’il accompagnât son mari à la guerre ; et le nègre ne se fit pas prier, d’abord parce qu’il aimait les aventures, et ensuite parce qu’il haïssait spécialement un certain Indien, mon père ayant fait dans sa première jeunesse quelques expéditions contre cette portion de nos ennemis. Quoique Jaap remplît les fonctions de domestique, il portait un fusil, et faisait même l’exercice avec les soldats. Heureusement notre livrée était bleue avec des parements rouges ; de sorte que Jaap avait presque l’air d’être en uniforme ; circonstance d’autant plus heureuse que jamais la mauvaise tête n’eût consenti à porter d’autre livrée que celle de la famille, à laquelle il appartenait régulièrement. De cette manière, Jaap se trouvait être moitié