Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/239

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Tobit nous fit entrer dans la maison, et nous plaça près de la porte, en face de son père ; arrangement qui dispensait d’une grande surveillance à notre égard, puisque, pour nous échapper, il nous eût fallu percer la foule qui était en dehors, ce qui était matériellement impossible. Mais le porte-chaîne ne semblait songer en aucune manière à la fuite. Il entra dans le cercle de ces jeunes hercules avec une complète indifférence, et il me parut en ce moment tel que j’avais coutume de le voir quand notre régiment était sur le point de donner. Alors le vieil André avait un maintien vraiment imposant ; il unissait le sang-froid et la dignité à un courage remarquable.

On le fit asseoir ainsi que moi près de la porte, tandis que Mille-Acres avait un siège en face sur la pelouse ; il était entouré de ses fils, qui tous étaient debout. Comme cet arrangement se fit au milieu d’un grave silence, les apprêts ne manquaient pas d’une certaine solennité, qui rappelait jusqu’à un certain point les séances ordinaires d’un tribunal. Je fus frappé du sentiment de curiosité inquiète qui se peignait sur le visage des femmes ; car pour elles la décision que Mille-Acres allait rendre, aurait toute l’autorité d’un jugement de Salomon.

Je ne sais si le long intervalle qui s’écoula dans une muette attente après notre arrivée, provenait du désir d’ajouter à l’effet de cette scène étrange, ou si Mille-Acres voulait réellement avoir le temps de rassembler ses pensées et de mûrir ses projets. Une chose me frappa ! Malgré la scène violente qui avait eu lieu si récemment entre le porte-chaîne et lui, il n’y avait aucune trace de ressentiment sur les traits rudes et ridés de ce vieil habitant des forêts ; car il était trop accoutumé à ces rixes soudaines, pour en conserver longtemps le souvenir.

Il m’était facile de m’apercevoir que je ne jouais que le second rôle dans cette occasion ; le vieil André était pour le moment le personnage le plus important. On le regardait comme une puissance ennemie, puisque, par la nature même de sa profession, il était en hostilité continuelle avec les squatters.

— Porte-chaîne, commença Mille-Acres, après une pause qui avait duré plusieurs minutes, et parlant avec une certaine dignité que lui donnait sa position de juge ; porte-chaîne, vous êtes tou-