Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/306

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Mille-Acres aurait été livré aux magistrats, s’il eût été constant qu’il fût coupable. Mais ce n’était pas une raison pour le tuer comme un chien.

L’Onondago retira sa pipe de sa bouche, tourna la tête du côté de l’écuyer, qui était venu respirer le frais à la porte ; puis, me regardant d’un air significatif :

— À quoi sert un magistrat, hein ? Qu’importe une loi bonne si le magistrat est mauvais ? La loi de la Peau-Rouge est préférable ; le guerrier est son propre magistrat, et il a son gibet à lui.

La pipe fut remise à sa place ; et Sans-Traces parut coutent de lui ; car il baissa de nouveau la tête, et sembla reprendre le cours de ses réflexions.

Après tout, ce barbare, avec son intelligence grossière, avait pénétré le secret d’une des grandes plaies de notre état social. De bonnes lois mal appliquées sont pires que l’absence de toute législation, puisque les artisans du mal se trouvent protégés par la puissance conférée à des agents pervers. Ceux qui ont étudié les défauts du système américain reconnaissent que le grand vice provient de ce qu’il n’y a pas un pouvoir supérieur qui donne l’impulsion à la justice. En théorie, c’est la morale publique qui doit constituer ce pouvoir ; mais la morale publique est loin d’avoir la même énergie que le vice individuel. La seule répression efficace du crime est dans la force, et la force ne peut appartenir qu’à la société tout entière. L’individu outragé, qui seul exerce les poursuites, ne peut rien ; il est débordé par les partis qui se forment dans la localité. On ne peut plus compter sur les jurés ; les magistrats perdent graduellement de leur influence. Il viendra un jour où les verdicts seront rendus en opposition directe avec l’évidence et avec le texte de la loi, où les jurés se croiront autant de législateurs ; et alors le bon patriote pourra se voiler le visage. Ce sera le commencement du paradis du fripon. Rien n’est plus facile, j’en conviens volontiers, que l’abus et l’excès du pouvoir ; mais je ne sais si, politiquement parlant, lorsque les hommes sont trop peu gouvernés, il n’y a pas à craindre des résultats presque aussi déplorables.

Jaap attendait humblement mon bon plaisir. Malgré la con-