Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/325

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— Ah ! c’est là que pendant longtemps j’ai désiré mourir, avec les Montgomery, les Laurens, les Warren, et tant de braves, morts les armes à la main ! Toutes ces idées sont passées aujourd’hui. Je suis comme un voyageur qui, suivant une plaine immense, lorsque enfin il est arrivé à l’extrémité, voit à ses pieds un abîme qu’il lui faut franchir. Qu’est-ce en effet que toutes les peines, les travaux, les tribulations de la vie auprès de l’éternité ! ce n’est pas que cette éternité ait pour moi quelque chose d’effrayant. Dieu m’a fait la grâce de m’éclairer, et il ne reste plus place dans mon âme qu’à des sentiments d’amour et de désir pour mon Créateur. Ah ! Mordaunt, vous ne trouverez pas mauvais, n’est-ce pas, que votre vieil ami, avant de vous quitter, vous parle une dernière fois de ce sujet sacré ?

— Parlez, parlez en toute liberté, mon cher porte-chaîne. Vos avis m’ont été précieux dans tous les temps ; ils me le seront encore davantage dans un moment aussi solennel.

— Merci, Mordaunt, merci de tout mon cœur ; Vous savez, mon ami, comment s’était écoulée mon enfance ; je vous l’ai raconté assez souvent dans nos campagnes. Resté tout jeune sans père ni mère, n’ayant ni guide, ni protecteur, je ne connaissais pas Dieu, et je n’avais aucune idée de mes devoirs envers lui. Il a fallu qu’une enfant m’apprît ma religion, dont je ne savais pas le premier mot. Aussi, graduellement, et à mesure que cette chère Ursule n’instruisait, quel changement se faisait dans mes goûts et dans mes habitudes ! Autrefois je faisais souvent la ribotte ; j’aimais le rhum, l’eau-de-vie, toutes les liqueurs fortes ; eh bien ! Ursule a réformé tout cela. Vous avez pu observer, depuis que vous êtes avec moi, que je n’ai plus à tous moments le verre à la main comme jadis. C’est le résultat des conversations que j’ai eues avec elle ! Vous auriez joui, Mordaunt, à voir la chère enfant assise sur mes genoux, jouant avec mes cheveux gris, et caressant de ses jolies petites mains mes joues rudes et flétries, comme l’enfant caresse sa mère, tandis qu’elle me racontait l’histoire de Jésus-Christ, et ses souffrances pour nous tous, et combien nous devions l’aimer ! Ursule vous parait jolie ; vous avez du plaisir à la voir et à l’entendre ? Que serait-ce si vous l’entendiez parler de Dieu et de la Rédemption !