Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/47

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pectable, je n’en disconviens pas ; on dit même qu’il est en très-bonne odeur en Angleterre, mais c’est un nom de famille, plutôt qu’un nom de baptême. Enfin, il est trop tard à présent : Mordaunt vous êtes ; et Mordaunt vous resterez. Vous a-t-on dit, mon enfant, à quel point vous ressemblez à votre grand-père ?

— Oh ! oui, ma mère me l’a répété bien souvent, les larmes aux yeux, en me disant que Mordaunt aurait dû être mon nom de famille, tant je ressemblais à son père.

— À son père ! quelle idée ! Je reconnais bien là Anneke ! C’est la meilleure des femmes ; je l’aime comme si elle était ma propre fille ; mais elle a quelquefois des idées si étranges ! Vous ressembler à Herman Mordaunt, vous qui êtes tout le portrait de votre grand-père Littlepage ! Vous ne ressemblez pas plus à Herman Mordaunt qu’au roi !

La révolution était encore trop récente pour empêcher ces allusions continuelles à la royauté, quoique mon grand père eût été l’un des whigs les plus prononcés, depuis le commencement de la lutte. Quant à la ressemblance alléguée, j’ai toujours entendu dire que j’avais quelque chose des traits des deux familles, ce qui permettait aux deux lignes de revendiquer sa part de ma figure, et ce qui expliquait peut-être l’espèce d’engouement qu’on avait pour moi des deux côtés. Ma bonne grand’mère était si convaincue de ma parfaite ressemblance avec le « vieux général, » comme elle appelait son défunt mari, qu’avant d’aller plus loin dans la communication qu’elle voulait me faire, elle s’essuya les yeux, et satisfit sa tendresse en attachant sur moi un long regard.

— Oh ! ces yeux ! murmura-t-elle ; et ce front ! la bouche aussi, et le nez, sans parler du sourire, qui est bien cela !

Pour peu que ma grand’mère eût continué, je ne vois pas trop ce qui serait resté de ma figure pour la branche des Mordaunt. Il est vrai que j’avais les yeux bleus, et que « le vieux général » les avait noirs comme du jais ; que j’avais le nez grec, tandis que le sien était tout ce qu’il y avait de plus romain. Mais ma chère grand’mère n’y regardait pas de si près, et son affection ne s’arrêtait pas à ces légères différences.

— Eh bien, Mordaunt, reprit-elle enfin, que dites-vous du