Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/51

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— Oh ! oui, il va bien loin, dans une partie du monde qui me fait trembler !

Miss Bayard, pour cette fois, manifesta quelque surprise, et ses beaux yeux parurent m’interroger, quoique sa langue restât muette.

— Je vois qu’il faut que je m’explique ; autrement miss Bayard va croire que je vais pour le moins en Chine. Le fait est que je ne quitte pas l’État d’York.

— Oui, mais l’État est assez grand pour que je conçoive l’inquiétude d’une grand’maman, quand son petit-fils est à l’autre extrémité. Peut-être allez-vous au Niagara, major Littlepage ? C’est une excursion que quelques jeunes Américains parlent d’entreprendre ; et je serai charmée quand l’état des routes permettra aux dames de se mettre de la partie.

— C’est que miss Bayard est remplie de courage ! s’écria ma grand’mère, ne voulant laisser échapper aucune occasion de faire valoir sa protégée.

— Je ne vois pas, mistress Littlepage, qu’il faille grand courage pour cela. Il est vrai qu’il y a des Indiens sur la route, et un grand désert à traverser ; mais des dames l’ont déjà fait, m’a-t-on dit, et sans danger. On dit tant de merveilles des Cataractes, qu’on est bien tenté de hasarder quelque chose pour les voir.

Quand je me reporte au temps de ma jeunesse, où une excursion au Niagara semblait presque aussi périlleuse qu’un voyage en Europe, j’ai peine à concevoir qu’en aussi peu de temps de pareils changements puissent s’opérer[1].

— Rien ne pourrait m’être plus agréable, répondis-je galam-

  1. Le lecteur ne doit jamais perdre de vue que ce manuscrit a été écrit il y a quarante ans. Un voyage au Niagara était, même alors, une entreprise sérieuse, aujourd’hui, grâce à la vapeur, la distance, qui est de 450 à 500 milles, peut être franchie en moins de 56 heures ! c’est un des prodiges du géant encore enfant, et c’est ce qui doit rendre les politiques étrangers circonspects, lorsqu’ils parlent de régler les limites de notre république. À juger de l’avenir par le passé, on verra un jour la vapeur franchir l’espace qui sépare l’Atlantique de la Mer-Pacifique, et le pavillon américain flotter aux deux extrémités. C’est peut-être ici le lieu d’ajouter que rien n’a plus fortifié l’administration actuelle dans ses projets d’annexion, que les menaces d’intervention des gouvernements européens dans les affaires de ce continent. À quelque moment critique, lorsqu’on s’y attendra le moins, l’Amerique pourrait bien leur rendre la pareille.