Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/80

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— N’étiez-vous pas avec mon père à Ravensnest, quand il était tout jeune, et que les Indiens du Canada essayèrent de mettre le feu à l’habitation ?

— Oui, Susquesus y était. Un jeune chef hollandais fut tué alors.

— C’est vrai ; il s’appelait Guert Ten Eyck ; mon père et ma mère, ainsi que votre vieil ami le colonel Follock, vénèrent toujours sa mémoire.

— Sont-ils les seuls qui vénèrent sa mémoire à présent ? demanda l’Indien en jetant sur moi un de ses regards les plus perçants.

Je compris qu’il voulait faire allusion à ma tante Mary, qui avait dû épouser le jeune Albanien.

— Non, il y a une dame qui le pleure toujours, comme si elle était sa veuve.

— Bien ! Les squaws ne pleurent pas toujours très-longtemps ; — quelquefois, pas toujours.


— Dites-moi, Susquesus, avez-vous connu un homme qu’on appelle le porte-chaîne ? Il était au régiment, et vous avez dû le voir pendant la guerre.

— Si j’ai connu le porte-chaîne ! Je l’ai connu sur le sentier de guerre ; connu aussi après que la hache a été enterrée. J’ai demeuré dans les bois avec lui. Il est des nôtres. Le porte-chaîne est mon ami.

— Je suis charmé de l’apprendre ; car il est aussi le mien. C’est l’honnêteté même ; c’est un autre vous-même, Susquesus.

— Avant longtemps il fera aussi des balais, dit l’Indien avec une expression de regret.

Pauvre André ! sans les amis dévoués qu’il avait en nous, il aurait couru en effet grand danger d’en être réduit à cette extrémité. Les services qu’il avait rendus dans la Révolution ne lui auraient pas été d’un grand secours, le pays étant trop pauvre pour payer ses vieux serviteurs. Je n’accuse ni le peuple, ni le gouvernement ; c’était peut-être la force des choses. Pendant les deux années qui suivirent la paix, ou ne saurait se figurer la gêne pécuniaire qui pesa sur le pays. Puis, comme l’enfant qui relève de maladie, la nation reprit son essor par la force de sa