Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 27, 1847.djvu/182

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« Quant à toutes ces déclamations contre l’aristocratie, je ne les comprends pas. Hughes Littlepage a autant le droit de suivre ses goûts que moi de suivre les miens. L’orateur dit qu’il lui faut des cuillers d’or et des fourchettes d’argent. Eh bien ! qu’y a-t-il à dire ? Je suppose que l’orateur lui-même trouve un couteau et une fourchette d’acier fort utiles, et qu’il n’a aucune répugnance pour une cuiller d’argent ou au moins d’étain. Il y a cependant des gens qui se servent de fourchettes de bois, d’autres qui n’ont pas de fourchettes du tout, d’autres qui se contentent de cuillers en corne ; assurément tous ceux-là pourraient considérer le préopinant comme un aristocrate. Cette habitude de se poser en toutes choses comme le seul modèle à suivre, n’a rien qui ressemble à la liberté. Si je n’aime pas à manger mon dîner en compagnie d’un homme qui se sert d’une fourchette d’argent, rien au monde ne doit m’y contraindre. D’un autre côté, si le jeune Littlepage n’aime pas un compagnon qui chique, ainsi que je le fais par exemple, il a le droit de suivre ses goûts.

« Ensuite, cette doctrine que tout homme en vaut un autre, peut être considérée sous deux points de vue. Un homme doit avoir les mêmes droits généraux qu’un autre, j’en conviens ; mais si tout homme en vaut un autre, à quoi servent donc les élections ? Nous pourrions tirer au sort, comme pour les jurés, et cela nous épargnerait beaucoup de temps et d’argent. Nous savons tous qu’il y a un choix à faire parmi les hommes, et je pense qu’aussi longtemps que le peuple aura son choix pour désigner ses mandataires, il a tous les droits qu’il doit avoir.

« Puis je ne suis pas grand admirateur de ceux qui disent toujours que le peuple est parfait. Je connais passablement bien ce comté et la plupart de ses habitants ; or, s’il y a dans le comté de Washington un homme parfait, je ne l’ai pas encore rencontré. Dix millions d’hommes imparfaits ne feront pas un homme parfait ; aussi, je ne cherche pas la perfection dans le peuple, pas plus que je ne la cherche dans les princes. Tout ce que je cherche dans la démocratie, c’est de remettre les rênes du pouvoir dans un assez grand nombre de mains, pour empêcher un petit nombre de tout rapporter à ses propres intérêts. Cependant, nous ne devons pas oublier que lorsque le grand nombre fait-le mal, c’est bien plus dangereux que lorsque le mal vient du petit nombre.

« Si mon fils n’hérite pas de la propriété de Malbone Littlepage,