Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 27, 1847.djvu/338

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’aucun de vous ait le droit de partager mes biens, pas plus que je n’ai le droit de partager les siens ; que vous puissiez plus justement réclamer une portion de mes terres que moi une portion de vos récoltes et de vos troupeaux ; c’est une règle bien simple qui n’a pas deux poids et deux mesures.

— Vous êtes un aristocrate, s’écria un des Indgiens, ou bien vous laisseriez d’autres hommes posséder autant de terres que vous en avez vous-mêmes. Vous êtes un patron, et tous les patrons sont des aristocrates et des hommes haïssables.

— Un aristocrate, répondis-je, est un homme qui, parmi le petit nombre, possède le pouvoir politique ; la plus haute naissance, la plus grande fortune, l’association la plus exclusive, ne ferait pas un aristocrate si l’on n’y ajoute un pouvoir politique privilégié. Dans notre pays il n’y a pas de pouvoir privilégié, par conséquent il n’y a pas d’aristocrates. Il existe cependant une fausse aristocratie que vous ne reconnaissez pas, simplement parce qu’elle n’est pas dans la main de gens comme il faut. Les démagogues et les journalistes forment vos classes privilégiées, et conséquemment vos aristocrates ; il n’y en a pas d’autres. Quant aux aristocrates propriétaires, écoutez une histoire véritable qui vous montrera combien ils méritent le reproche d’aristocratie. Il y avait un propriétaire dans cet État, un homme de grande fortune, qui s’était rendu responsable des dettes d’un autre pour une somme considérable. Au moment où ses rentes ne pouvaient être touchées, grâce à votre intervention et à la faiblesse de ceux qui doivent protéger la loi, le shérif se présenta dans sa maison et en vendit tout le mobilier afin d’exécuter une saisie contre lui. Voilà l’aristocratie américaine, et, je suis fâché de le dire, la justice américaine, telle qu’elle est administrée parmi nous.

Je vis que ma narration produisait un certain effet. Chaque fois que j’ai fait entendre cette évidente vérité, elle a confondu le plus intrépide démagogue, et réveillé momentanément dans son cœur quelques-uns des principes que Dieu avait originairement placés. L’aristocratie américaine, en vérité ! heureux le gentleman qui peut obtenir une maigre et boiteuse justice !