Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 27, 1847.djvu/95

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cabane. Voilà Susquesus assis sur une pierre, oisif et méprisant le travail, avec son fusil appuyé contre le pommier, tandis que Jaaf ou Yop s’occupe ou croit s’occuper dans le jardin, comme un esclave à l’ouvrage.

— Et lequel est le plus heureux, Monsieur, le travailleur ou l’oisif ?

— Il est probable que chacun trouve son bonheur à conserver ses anciennes habitudes. L’Onondago a le travail en horreur, et j’ai entendu mon père raconter que son bonheur fut des plus grands lorsqu’il apprit qu’il pourrait passer le reste de ses jours in otio cum dignitate, et sans être obligé de faire des paniers.

— Yop nous regarde ; ne ferions-nous pas mieux de les aborder ?

— Yop peut regarder plus ouvertement, mais l’Indien voit deux fois mieux. Ses facultés sont bien supérieures à celles de son camarade ; c’est un homme d’un grand jugement et d’une perspicacité rare. Dans ses bons jours, rien ne lui échappait. Mais, comme tu le dis, approchons.

Nous nous consultâmes sur la question de savoir si nous nous servirions, avec les deux vieillards de notre dialecte germain, ce qui d’abord ne nous semblait pas nécessaire mais en réfléchissant que nous pourrions être rejoints par d’autres personnes, car nos communications devaient être assez fréquentes pendant quelques jours, nous décidâmes de conserver strictement notre incognito.

Comme nous approchions de la porte de la hutte, Jaaf quitta lentement son petit jardin, et, rejoignit l’Indien qui demeurait immobile sur son siège de pierre. Aucun changement dans les traits de ces deux hommes ne nous paraissait visible après une absence de cinq ans, chacun d’eux étant une image parfaite de la vieillesse extrême mais non décrépite des hommes de sa race. Des deux cependant le noir, si toutefois on pouvait l’appeler noir, sa figure ayant pris une teinte d’un gris sale, semblait le plus changé, quoique cela m’eût semblé à peine possible la dernière fois que je l’avais vu. Quant à Sans-traces, ou Susquesus, sa tempérance habituelle lui avait profité : son corps à moitié nu, car il portait le vêtement d’été de sa race, et ses membres secs, paraissaient faits d’un cuir longtemps trempé dans un tan de première qualité. Ses muscles, quoique raidis, ressemblaient à des cordes, et toute sa personne avait l’aspect d’une momie pétrifiée mais encore douée