Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 27, 1847.djvu/96

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de sa vitalité. La couleur de la peau était moins rouge qu’autrefois, quoique la différence fût légère.

— Sago, sago, cria mon oncle, qui ne voyait aucun risque à se servir de ce salut indien. Sago, sago, ce charmant madin ; dans mon lancache, ce serait guten tag[1].

— Sago, répondit Sans-Traces avec son ton profondément guttural, tandis que le vieux Yop rapprochait deux lèvres qui ressemblaient à deux épais morceaux de bifteck trop cuits, fixait sur nous ses yeux bordés de rouge, faisait de nouveau la moue, travaillant ses mâchoires comme pour montrer les excellentes dents qu’elles contenaient encore, et gardant le silence. En sa qualité d’esclave d’un Littlepage, il regardait des colporteurs comme des êtres inférieurs car les anciens nègres de New-York s’identifiaient plus ou moins avec les familles auxquelles ils appartenaient et dans lesquelles ils étaient si souvent nés. « Sago, » répéta l’Indien, lentement, avec courtoisie et même avec emphase, après qu’il eut considéré mon oncle, comme s’il avait vu en lui quelque chose qui commandait le respect.

— C’être une charmante chournée, amis, dit l’oncle Ro en s’asseyant tranquillement sur des bûches qui étaient entassées près de la hutte, et en s’essuyant le front. Comment s’appelle cet endroit ?

— Ceci ? répondit Yop, non sans un peu de dédain ; ceci, colonie d’York. D’où venez-vous, pour faire une telle question ?

— D’Allemagne. Être bien loin, mais pon pays. Ceci, pon pays aussi.

— Pourquoi te quitter, si c’est bon pays, eh ?

— Bourquoi fous quitter Afrique ? poufez-fous me dire cela ? reprit d’un air calme l’oncle Ro.

— Jamais avoir été là, murmura le vieux Yop en rapprochant ses deux énormes lèvres et en les faisant mouvoir à peu près comme le sanglier, lorsqu’il est prudent de s’en écarter. Je suis négue né à York ; jamais avoir vu l’Afrique, et jamais en avoir envie.

Il est à peine utile de dire que Jaaf appartenait à une école qui ne se servait jamais du terme de « gentilshommes de couleur. » Les hommes de son temps et de sa trempe s’appelaient nègues, et leurs maîtres les prenaient au mot et les appelaient aussi nègues, terme

  1. Bonjour.