Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 29, 1852.djvu/55

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rait vu surgir une île belle et fertile au lieu de ce roc à demi submergé.

Depuis le premier moment de son arrivée au pied du récif qui dorénavant doit porter son nom à tout jamais, Marc avait toujours eu présente à l’esprit la pénible idée qu’il pouvait être forcé d’y passer le reste de ses jours. Quelle perspective pour un jeune marié, et combien de temps pourrait-il trouver des moyens d’existence dans cette aride solitude ! Mais il concentrait sa peine en lui-même, et cherchait à imiter, du moins à l’extérieur, le calme de son compagnon. Celui-ci avait un grand fonds de philosophie naturelle, et une fois bien convaincu qu’il lui faudrait Robinsonner pendant quelques années, il n’avait plus d’autre pensée que de se tirer de son rôle le moins mal possible. Dans une pareille situation d’esprit, on juge facilement le tour que devait prendre la conversation entre les deux solitaires.

— Nous sommes bien et dûment bloqués, monsieur Marc, dit Bob, et nous voilà comme Robinson, si ce n’est que nous sommes deux, et qu’il était tout seul pour se tirer d’affaire, jusqu’à ce qu’il eût rencontré Vendredi.

— Je voudrais qu’il n’y eût point d’autre différence dans notre position, Betts, mais il n’en est pas ainsi. D’abord il avait une île et nous n’avons qu’un récif ; il avait un terrain fertile, et nous n’avons qu’un roc aride ; il avait de l’eau douce, et nous n’en avons pas ; il avait des arbres, et nous n’avons pas même un brin d’herbe. Toutes ces circonstances sont loin d’être encourageantes.

— Vous parlez comme un livre, Monsieur, et cependant ne lâchons pas le gouvernail. Nous avons un bâtiment aussi solide, aussi fin voilier que le jour où il a quitté le port, tandis que Robinson avait vu son navire sombrer sous ses pieds. Tant qu’il y a une planche à flot, un vrai marin ne désespère pas.

— Oui, Bob, c’est ma conviction, comme c’est la vôtre ; mais encore faudrait-il que ce bâtiment pût servir à quelque chose ; et le moyen de le tirer de là ?