Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/248

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moi, ou que M. Griffith, qui pour son âge est un aussi bon marin qu’aucun de ceux qui ont jamais marché sur un tillac, coupe son câble pour sortir de cet ancrage.

Borroughcliffe affecta de le regarder avec un air d’intérêt, mais ce fut peine perdue. Les copieuses libations du contre-maître avaient redoublé sa confiance en excitant sa bonne humeur. Incapable lui-même de perfidie, il ne pouvait en soupçonner facilement un autre. Le capitaine, voyant qu’il était nécessaire de parler plus clairement, renouvela l’attaque de la manière suivante :

— Je suis fâché d’avoir à vous dire qu’il ne vous sera pas permis de retourner vers l’Ariel ; que votre commandant, M. Barnstable, sera prisonnier sous une heure, et que votre schooner sera pris avant le lever du soleil.

— Et qui le prendra ? demanda le contre-maître avec un sourire sardonique, quoique cette accumulation de menaces commençât à faire impression sur lui.

— Vous devez vous rappeler qu’il est sous le feu d’une batterie qui peut le couler à fond en quelques minutes. Un exprès a déjà été envoyé à l’officier d’artillerie qui est à ce poste pour l’informer que l’Ariel est un bâtiment ennemi, et comme le vent commence à souffler de la mer, il est impossible qu’il s’échappe.

La vérité avec toutes ses conséquences terribles commença enfin à briller aux yeux de Tom Coffin. Il se rappela les pronostics qu’il avait tirés lui-même sur le temps ; et le schooner, privé de plus de la moitié de son équipage, restait sous le commandement d’un enfant, tandis que son commandant était lui-même sur le point d’être fait prisonnier. L’assiette tomba de ses genoux par terre, sa tête se pencha sur sa poitrine ; il se cacha le visage avec ses larges mains, et en dépit de tous ses efforts il ne put retenir un long gémissement.

Borroughcliffe éprouva un moment d’émotion véritable en voyant la douleur d’un homme sur la tête duquel le temps commençait déjà à imprimer les marques de son passage ; mais l’habitude qu’il s’était faite depuis quelques années de chercher des victimes pour la guerre, avait considérablement émoussé sa sensibilité naturelle, et les considérations relatives à son métier reprenant l’ascendant, l’officier recruteur ne songea plus qu’à profiter de son avantage.