Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/270

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distance que mettaient entre eux son grade et son âge. Les voiles avaient été déployées, et lorsque le schooner entra dans le passage, le vent, qui redoublait de force, commença à produire une impression sensible sur le léger navire. Le contre-maître, qui en l’absence de tout autre officier inférieur jouait sur le gaillard d’avant le rôle d’un homme qui sentait que son âge et son expérience lui permettaient de donner des conseils, sinon des ordres, en pareille occasion, s’avança alors vers le poste que son commandant avait choisi près du gouvernail.

— Eh bien ! maître Coffin, lui dit Barnstable qui connaissait le penchant qu’avait le vieux marin à lui communiquer ses idées dans toutes les circonstances importantes, que pensez-vous maintenant de notre croisière ? Ces messieurs sur la montagne font beaucoup de bruit ; mais je n’entends même plus le sifflement des boulets ; on croirait pourtant qu’ils doivent voir nos voiles se dessiner sur cette bande de lumière qui s’ouvre à l’horizon du côté de la mer.

— Oui, oui, Monsieur, ils nous voient, répondit Coffin, et s’ils ne nous touchent pas, ce n’est pas faute de bonne volonté. Mais faites attention que nous sommes en travers de leur feu, et que nous avons un vent qui nous fait filer dix nœuds. Or quand nous serons vent devant et en ligne avec la batterie, nous verrons autre chose, et nous n’aurons peut-être que trop de besogne. Un canon de trente-deux ne se manie pas aussi aisément qu’un fusil de chasse ou une canardière.

Barnstable fut frappé de la vérité de cette observation ; mais comme il était impossible de faire sortir le schooner de la baie sans se mettre dans la position dont Tom Coffin venait de parler, et qu’il était urgent qu’il en sortît, il donna sur-le-champ les ordres nécessaires, et la tête du navire fut tournée vers la pleine mer en moins de temps que nous n’en prenons pour le dire.

— Ils nous tiennent à présent, ou jamais ils ne nous tiendront, s’écria le lieutenant quand cette manœuvre fut faite. Si nous pouvons gagner le vent, à la hauteur de cette pointe du côté du nord, nous entrerons en pleine mer, et en dix minutes nous pourrions rire du canon de poche de la reine Anne[1] qui, comme vous le savez, mon vieux Tom, portait de Douvres à Calais.

  1. Canon qu’on montre encore aux voyageurs à Douvres.