Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/39

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ce que vous soyez à la hauteur de ce promontoire que vous voyez au nord. Alors, vous pourrez mettre en panne, et vous tirerez un coup de canon. Mais si, comme je le crains, vous êtes repoussé avant d’avoir atteint cette hauteur, fiez-vous à cette sonde en courant des bordées de bord, et gardez-vous de présenter la proue au sud.

— Je puis courir des bordées de tribord comme de bâbord, et faire des enjambées de la même longueur.

— Gardez-vous-en bien. Si pour gagner le large par est-quart-nord-est, vous déviez à tribord d’un seul point du compas, vous trouverez des écueils et des pointes de rochers qui vous encloueront. Je vous le répète, évitez les bordées de tribord.

— Et sur quoi dois-je me régler pour diriger ma course ? Sur la sonde, sur la boussole, sur…

— Sur de bons yeux et sur une main agile. Les brisants vous avertiront, du danger quand vous ne pourrez apercevoir les gisements de la côte ; mais ne vous lassez pas de sonder, tout en courant des bordées de bâbord.

— Fort bien ! fort bien ! murmura Barnstable à demi-voix ; c’est ce qu’on peut appeler naviguer à l’aveugle. Et tout cela, sans que je puisse voir pourquoi. Voir ! morbleu ! La vue m’est aussi utile en ce moment que me le serait mon nez pour lire la Bible !

— Doucement ! monsieur Barnstable, doucement ! dit le vieux commandant ; car l’inquiétude produisait un tel silence à bord des deux vaisseaux, qu’on entendait tout ce qui s’y passait. Les ordres que le congrès nous a donnés doivent s’exécuter au risque de notre vie.

— Je ne suis point avare de ma vie, capitaine Munson, répondit Barnstable ; mais il n’y a pas de conscience à placer un vaisseau dans un lieu comme celui-ci. Au surplus, c’est le moment d’agir et non de parler. Mais s’il y a tant de danger pour un schooner qui tire si peu d’eau, que deviendra la frégate ? Ne vaudrait-il pas mieux que je jouasse le rôle du chacal, et que je marchasse en avant pour tâter le chemin ?

— Je vous remercie, dit le pilote, l’offre est généreuse ; mais cela ne nous servirait à rien. J’ai l’avantage de bien connaître le terrain, et il faut que je me fie à ma mémoire et à la protection de Dieu. Déployez vos voiles, Monsieur, partez ; et si vous réussissez, nous nous hasarderons à lever l’ancre.