Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/399

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s’élancèrent sur les vergues, et en un instant les voiles se déployèrent aussi rapidement que si un oiseau eût étendu ses ailes. Le capitaine anglais vit sur-le-champ qu’il avait été trompé, et il donna ordre de lâcher une bordée. Griffith entendit les boulets siffler sur sa tête, et il en suivit l’effet avec inquiétude ; mais quand il vit qu’ils m’avaient fait que couper quelques cordages peu importants, sans toucher à un seul de ses mâts, il poussa un grand cri de joie, répété soudain par tout l’équipage. Pourtant quelques marins grièvement blessés tombèrent de cordage en cordage, cherchant en vain à s’y accrocher, et furent précipités dans l’Océan, tandis que le navire les abandonnait à leur sort, et s’éloignait d’eux avec une fière indifférence. Le moment d’ensuite, les mâts et les vergues du navire ennemi furent couverts à leur tour de marins déployant les voiles, et Griffith, embouchant son porte-voix, cria de toutes ses forces : — Feux, maintenant ! feu de mitraille ! faites-les tomber à bas de leurs vergues ! nettoyez leurs agrès.

L’équipage américain n’avait pas besoin d’être excité pour se mettre à l’œuvre avec courage et activité, et Griffith avait à peine cessé de parler qu’on entendit gronder le tonnerre de la frégate. Mais le pilote n’avait pas suffisamment apprécié le courage et l’habileté de ses ennemis. Malgré la situation désavantageuse où ils se trouvaient en déployant leurs voiles, ils n’en continuèrent pas moins leur manœuvre avec autant d’adresse que de fermeté, et quelques instants leur suffirent pour la terminer.

Les deux vaisseaux marchaient alors rapidement sur deux ligues parallèles, se lançant des bordées avec acharnement, essuyant des pertes réciproques, mais sans avantage marqué ni d’une part ni de l’autre. Griffith et le pilote voyaient avec grande inquiétude leur plain déconcerté, car ils ne pouvaient se dissimuler que chaque moment diminuait la rapidité de leur marche, le feu de l’ennemi ayant brisé une partie de leurs vergues, et rendu inutiles quelques-unes de leurs voiles.

— Nous trouvons ici à qui parler, dit Griffith ; voici le quatre-vingt-dix qui reparaît, s’élevant sur les vagues comme une montagne ; et si nous continuons à marcher si lentement, il ne tardera pas à nous atteindre.

— C’est la vérité, répondit le pilote d’un air pensif ; l’amiral prouve qu’il ne manque ni de jugement ni de courage, mais…