Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/400

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Il fut interrompu par Merry, qui accourait du gaillard d’avant en annonçant d’avance par le feu de ses regards l’importance qu’il attachait à la nouvelle qu’il apportait.

— Des brisants ! s’écria-t-il dès qu’il fut assez près pour se faire entendre au milieu du tumulte, nous sommes entraînés par un courant, et toute la mer est couverte d’écume à moins de deux cents toises de notre proue.

Le pilote s’avança sur un canon, et se pencha de divers côtés pour chercher une percée à travers la fumée. Y ayant réussi, il s’écria d’une voix si forte et si perçante qu’elle se faisait entendre au milieu du bruit du canon :

— Bâbord ! la barre ! Nous sommes sur le Devil’s-Grip. Passez-moi le porte-voix, monsieur Griffith ! Bâbord la barre, vous dis-je ; et vous feu, feu sur ces orgueilleux Anglais !

Griffith lui remit sans hésiter ce symbole de son rang, et fixant ses regards sur l’œil animé du pilote, il reprit confiance par l’air d’assurance qu’il y remarqua. Les marins étaient trop occupés de leurs canons et de leurs agrès, et la frégate entra dans un des canaux étroits et dangereux qui séparaient les écueils, au milieu de la chaleur d’un combat dont le succès était encore douteux. Quelques vieux matelots regardaient avec étonnement l’écume dont la mer était couverte autour d’eux, paraissant douter que cet effet pût être produit par les boulets de l’ennemi rasant la surface des ondes. Tout à coup le bruit des vagues, furieuses des obstacles que leur opposaient les rochers cachés sous les eaux, succéda à celui du canon, et la frégate, sortant de l’atmosphère de fumée dont elle était enveloppée, se montra hardiment, voguant au milieu d’un labyrinthe d’écueils. Pendant environ dix minutes, le pilote commanda les manœuvres, prenant à peine le temps de respirer, et dirigeant la course rapide du vaisseau par des passages étroits et tortueux, bordés et coupés par des brisants dont un seul aurait suffi pour rendre certaine la perte du navire qui l’aurait touché.

— Ce qui menaçait d’être notre destruction sera notre salut, s’écria-t-il enfin en remettant à Griffith le porte-voix. Tenez cette montagne couverte de bois ouverte d’un quart avec la tour de l’église qui en est la base ; gouvernez est-quart-nord-est ; nous avons à naviguer ainsi pendant une heure entre ces écueils où les Anglais n’oseront nous suivre, et par ce moyen nous gagnerons