Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/54

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— Il faut pourtant le faire, ou nous sommes perdus, répliqua le pilote avec sang-froid. Voyez ! la lumière s’écarte déjà de la montagne : elle en touche le bord ; la mer nous pousse à tribord.

— Cela va être fait, s’écria Griffith en saisissant le porte-voix.

Les ordres du lieutenant furent exécutés presque aussitôt qu’ils furent donnés, et tout étant prêt, la grande voile fut déployée pour être étendue au vent. Le résultat de cette manœuvre fut un moment de crise ; car le vent semblait vouloir s’opposer à son expansion, et le centre du navire était ébranlé. Mais enfin l’adresse et la force l’emportèrent ; cent marins travaillèrent en même temps à la contenir, et elle fut convenablement tendue. La frégate céda à cette force nouvelle comme un roseau cède au vent qui le fait plier. Ce succès fut annoncé par un grand cri de joie que poussa le pilote, et qui semblait partir du fond de son âme.

— Elle lofe ! s’écria-t-il : elle serre le vent ! Voyez ! la lumière s’ouvre avec la montagne. Si elle porte ses voiles, nous sommes sauvés.

Un bruit semblable à celui d’un coup de canon l’interrompit. On vit le vent emporter quelque chose qui ressemblait à un nuage blanc, et qui disparut aussitôt dans l’obscurité.

— C’est le grand foc qui a été enlevé des ralingues, dit le vieux commandant ; des voiles légères ne peuvent tenir contre un pareil temps ; mais la grande voile peut résister.

— Elle résisterait à un tourbillon, dit Griffith ; mais ce mât se fend comme un morceau d’acier qui a une paille.

— Silence, Messieurs ! s’écria le pilote ; nous allons bientôt connaître notre destin. Lofez ! vous pouvez lofer.

Ces mots terminèrent toute discussion, et les braves marins sachant qu’ils avaient fait pour leur sûreté tout ce qu’il était au pouvoir de l’homme de faire, attendirent l’événement dans le silence et l’inquiétude. À peu de distance de leur proue, la mer était couverte de flots d’écume, et les vagues, au lieu de rouler successivement avec régularité, semblaient tournoyer ; dans ce chaos d’ondes agitées, on ne distinguait qu’une raie d’eau noire de la longueur d’une demi-encâblure, et elle disparaissait souvent ; au milieu de la confusion des vagues. C’était le long de cet étroit sentier que le vaisseau s’avançait plus pesamment qu’auparavant, et pinçant assez le vent pour empêcher ses voiles de fasier ; mais,