Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/53

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saire pour l’éviter. Alors le vaisseau était sous son gouvernement absolu, et pendant ces moments d’inquiétude où il fendait les ondes qui couvraient d’écume les énormes vergues, toutes les oreilles n’étaient attentives qu’à la voix de celui qui avait acquis sur l’équipage un ascendant qu’il n’avait obtenu que par une fermeté aidée de l’expérience.

La frégate venait encore de faire un de ces virements qu’elle avait si souvent exécutés à la voix du pilote, quand celui-ci adressa pour la première fois la parole au capitaine qui continuait à surveiller le travail de la sonde.

— Nous voici dans le moment critique, lui dit-il : si le vaisseau se comporte bien, nous sommes sauvés ; sinon, tout ce que nous avons fait jusqu’à présent devient superflu.

Le vétéran quitta un instant son poste à cet avis effrayant, et, appelant son premier lieutenant, il demanda au pilote l’explication de ce qu’il venait de lui dire.

— Voyez-vous cette lumière sur ce promontoire du sud ? répondit le pilote ; vous pouvez la reconnaître à cette étoile qui en est voisine, et qui paraît de temps en temps s’enfoncer dans la mer. Maintenant remarquez ce point noir qui semble une ombre à l’horizon, un peu plus au nord : c’est une montagne située dans l’intérieur des terres. Si nous pouvons tenir cette montagne ouverte avec cette lumière, tout ira bien ; sinon nous serons infailliblement brisés.

— Virons de bord encore une fois, s’écria Griffith.

— Il n’est plus question de virer de bord ni vent arrière, répondit le pilote. Le canal resserré dans lequel nous sommes à présent nous laisse à peine la place nécessaire pour passer. Si nous pouvons doubler le Devil’s-Grip, nous serons hors des écueils, mais nous n’avons pas d’autre alternative.

— Nous aurions mieux fait de louvoyer plus tôt pour ne pas y rentrer, s’écria Griffith.

— Oui, si la marée nous l’avait permis, répliqua le pilote d’un ton calme. Messieurs, il faut de la promptitude ; nous n’avons qu’un mille à faire, et la frégate paraît avoir des ailes. Cependant les huniers ne lui suffisent plus pour tenir le vent ; il nous faut le grand foc et la grande voile.

— Il est dangereux de déployer les voiles par un tel vent, dit le commandant avec un air de doute.