Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 30, 1854.djvu/157

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— Ce doit être l’opinion de toute femme, répondit-elle. Je ne pourrais supporter de voir l’homme à qui je déférerais en toute occasion, solliciter de moi les moyens de notre subsistance à tous deux. Je serais enchantée, si j’avais de l’argent et qu’il n’en eût pas, de mettre tout en ses mains, et alors de venir lui en demander autant qu’il m’en faudrait pour mon bien-être.

— S’il avait le cœur d’un homme, il n’attendrait pas la demande, et s’empresserait de prévenir vos moindres désirs. Je crois que vous avez raison : la plus grande garantie du bonheur, c’est la confiance.

— Le bonheur consiste aussi à ne pas renverser les lois de la nature. Pourquoi les femmes s’engagent-elles à obéir à leurs maris et à les respecter, si elles veulent les retenir dans la dépendance ? Je vous le déclare, John Wilmeter, je mépriserais presque un, homme qui consentirait à vivre avec moi sur d’autres termes que ceux sur lesquels la nature, l’église, la raison, s’unissent pour nous dire qu’il doit être le maître.

— C’est bien, Anna ; voilà de bons, de nobles et dignes sentiments ; et j’avoue que je suis ravi de les entendre de votre bouche. J’en suis d’autant plus charmé, que l’oncle Tom se plaint toujours de ce qu’on a pour le quart-d’heure un penchant à placer votre sexe au-dessus du nôtre, renversant à cet égard toutes les anciennes règles. Qu’une femme, un jour, s’éloigne de son mari et enlève les enfants, il y a dix à parier contre un qu’un juge fantasque, qui se préoccupe plus d’une réputation bâtie sur des cancans que d’une juste déférence aux décisions des lois de Dieu et de la sagesse humaine, refusera de décerner un mandat d’habeas corpus pour rendre les enfants à leur père.

— Je ne sais, John, dit Anna d’un air d’hésitation décelant un vrai instinct de femme : ce serait si dur pour une mère de se voir voler ses enfants !

— Il est possible que ce fût dur, mais en pareil cas ce serait juste. J’aime l’expression de voler, car elle convient, aux deux parties. Il me semble que le père est le seul volé, quand la femme non contente d’être infidèle à ses devoirs à l’égard de son mari, le dépouille encore de ses enfants.