CHAPITRE XVII.
Qu’importe de la loi le plus sévère arrêt,
Puisque la reine peut le sauver, s’il lui plaît ?
a preuve la plus certaine peut-être qu’un peuple puisse
donner d’une haute condition morale, c’est la manière dont la
justice est administrée. Une infaillibilité absolue est hors de la
portée humaine ; mais il y a des abîmes en bien comme en mal,
entre la justice légale d’un état de société et celle d’un autre. À
titre de descendants des Anglais, nous sommes portés à attribuer
une plus grande pureté aux juges de la mère-patrie qu’à ceux des
autres nations européennes. Cette prétention, toutefois, ne nous
astreint pas à croire que même l’hermine de l’Angleterre soit
sans tache ; car on ne peut oublier que Bacon et Jeffreys ont
occupé les plus hautes places dans la magistrature, pour ne rien
dire d’une foule d’autres, dont les fautes ont été ensevelies sans
doute dans leur obscurité. Issue d’une telle parenté, la justice
américaine semble une profonde anomalie morale.
Mal payés, sans pensions de retraite, sans nulle expectative d’honneurs et de dignités héréditaires ; en un mot, n’ayant en réalité et en espérance aucun motif particulier qui les engage à être honnêtes, les juges de cette grande république peuvent prétendre néanmoins à être rangés parmi les plus intègres dont l’histoire fasse mention. Malheureusement le caprice et l’ignorance populaires ont influé depuis peu sur l’élection des magistrats ; et on peut prédire le jour où cette grande institution sera au niveau de l’esprit des masses.
Après avoir retranché les nobles mobiles de moralité, l’émulation, les honneurs, l’inamovibilité des fonctions, la main populaire a même dépouillé la justice de son prestige extérieur. Autrefois le shériff paraissait avec son épée, le juge était escorté du palais à sa maison avec toutes les marques de la considération et