— Est-ce cette sorte d’amour qui vous pousse à accorder votre main au jeune Wilmeter ?
Anna devint toute rouge et resta confuse ; mais le pouvoir de l’innocence vint la soutenir, et elle reprit son calme et sa fermeté.
— Non, ce n’est pas par un sentiment pareil que j’épouserai John, dit-elle. Je ne prétends pas faire violence à la nature, et je ne m’efforcerai pas d’être supérieure aux personnes de mon sexe et de ma condition. J’aime John Wilmeter, je l’avoue, et j’espère le rendre heureux.
— En femme pénétrée de ses devoirs, n’est-ce pas ? douce, obéissante, étudiant à jamais les goûts et les caprices de son mari !
— Je ne vois rien de dégradant pour une femme à ce qu’elle remplisse la place que la nature et le christianisme lui ont assignée, et à ce qu’elle accomplisse ses devoirs d’épouse.
— Ce ne sont pas mes sentiments, à moi ; mais plusieurs personnes m’ont dit que je n’aurais jamais dû me marier ; je sais moi-même qu’il eût mieux valu me marier en Amérique qu’en France.
— J’ai entendu dire qu’on donne plus de latitude à notre sexe en France que dans ce pays.
— Ce n’est vrai qu’en partie. Rien ne surpasse la retenue d’une jeune fille en France, tandis qu’en Amérique c’est un point qui laisse souvent à désirer. Mais ici, une femme mariée n’a aucun privilège, pas même dans la société ; en France, au contraire, sous un air de grande dépendance, elle agit complétement à sa fantaisie. C’est une erreur pourtant de supposer que des épouses fidèles et des mères dévouées, ces dernières surtout, soient difficiles à trouver dans toute l’Europe, et particulièrement en France.
— Je suis bien aise de le savoir, s’écria Anna d’un air réellement joyeux ; je suis enchantée chaque fois que j’entends dire que les personnes de notre sexe se conduisent comme elles doivent le faire.
— Comme elles doivent le faire ! Je crains, Anna, qu’il n’y ait un reproche caché dans cette remarque. L’appréciation que nous faisons de la conduite de nos amies dépend nécessairement des